Le Canada d'Est en Ouest

mercredi, juillet 26, 2006

Lundi 24 juillet


8h. Les pick-up bouchent l’entrée du Tim Hortons. A l’intérieur, la queue pour le café est digne de la Sécu. Je fais le plein à la sation Husky, juste en face. Une employée me demande si je veux vérifier le niveau d’huile. « What’s the word for oil in French ?, she asks me. I’m French but I can’t speak it. » Elle s’appelle Natalie Gauthier, 21 ans, et voudrait bien parler français. Sa famille, comme son nom l’indique, est francophone. De Sudbury. Mais le déménagement dans la région de Kenora, plus à l’ouest, a été difficile. Surtout pour sa sœur aînée, qui avait été à l’école en français jusque-là et s’est retrouvée isolée dans une école anglophone. « Du coup, pour que je m’intègre facilement, mes parents ne m’ont pas appris le français », souffle Natalie. Elle tente de rattraper le coup, tranquillement pas vite, aujourd’hui avec sa mère. Mais ce n’est pas gagné.

Pour la première fois, je vois quelque chose à quatre pattes qui ressemble à un daim sur le bord de la route. Le Manitoba n’est qu’à un demi-heure de Kenora. Winnipeg, la porte de l’Ouest, capitale provinciale, à 130 kilomètres de là. La route 17 devient la route 1, abandonne définitivement ses lacets et s’élargit en deux fois deux voies. La vitesse maximum passe à 100 kilomètres heure. Depuis déjà quelques temps, les sapins laissent la place à des champs. Stevie Wonder chante à tue-tête dans la voiture.

Une heure de moins après Thunder Bay


Dehors, il pleut de plus en plus. Je laisse tomber l’idée de visiter le Fort William pour faire de la route. Kenora, non loin de la frontière du Manitoba, est à 461 kilomètres. Je quitte le lac Supérieur, mais pas l’Ontario, la province canadienne la plus longue à traverser. A une cinquantaine de kilomètres de Thunder Bay, je change d’heure. Une heure de moins et je me retrouve bizarrement en Finlande. Upsala, c’est la prochaine ville. Un nom qui rappelle que la région de Thunder Bay accueille aussi des immigrés d'Europe du Nord, Suédois et Finlandais notamment. A cause du paysage qui est très proche, paraît-il, du pays originel. La route hésite de moins en moins entre la gauche et la droite. Elle file presque tout droit. Je laisse les nuages derrière moi.

A Kenora, l’accueil est inquiétant. Presqu’impossible de se garer quelque part pour la nuit. Interdit près de la marina qui donne sur le Lake of the woods. Interdit aussi sur le parking du Wall-Mart. J’atterris dans un camping surpeuplé et mange une boite de sardines du Nouveau-Brunswick avant de m’effondrer dans la tente.

Dimanche 23 juillet



Je reviens sur mes pas pour voir ce que j’ai raté hier. Le port et les terminaux céréaliers dont je cherche l’entrée pendant une demi-heure. Il faut emprunter un pont au bout de Central avenue. Le blé des Prairies est stocké là dans de gigantesques élévateurs. Il part en train ou en bateau. A quelques kilomètres, le Fort William était déjà une plaque tournante du commerce dans le passé. Aujourd’hui, le blé et le bois ont remplacé les fourrures. Des voies ferrées partent dans tous les sens. Sur les wagons, des noms défilent : Alberta, ministère de l’agriculture du Canada… Il fait gris, un peu de pluie. Un temps adapté au paysage.

Je m’aperçois que c’est dimanche et m’offre un repas de roi (de reine) dans la chaîne Swiss Chalet face à la voie ferrée. A côté, des vieilles dames bien mises se font péter la panse. Pour la première fois depuis longtemps, je fais attention à mes dépenses, calcule le prix de l’essence (il a doublé ces deux dernières années au Canada et coûte maintenant entre 1,07 et 1,2 dollars le litre), récupère les couverts en plastique des fast-food, même le pain du resto.

Thunder Bay, le sleeping giant


Thunder Bay, 113.000 habitants, dit la pancarte. L’extrémité ouest du parcours canadien des Grands Lacs. Au loin, la silhouette du Sleeping Giant, la péninsule en forme de géant endormi, veille sur la ville. L’auberge de jeunesse, située sur le campus universitaire, affiche complet. Je prends l’option camping à 20 bornes de là sur la 17 Ouest. Un camping de luxe avec piscine, spa et wi-fi. Le bonheur. Je pense rester ici deux jours, histoire de faire une pause et de mettre à jour toutes mes notes. Sauf que le lendemain, il se met à pleuvoir.

La rive nord du Lac Supérieur


Il est 10h30. Je reprends la route en lacets ponctuée de signes devenus familiers qui me disent de faire attention aux orignaux. La route tracée à la serpe dans la forêt n’est qu’une mince couche de civilisation. Autour de la transcanadienne, c’est la jungle. A Marathon, les ours viennent parfois fouiller les poubelles quand ils ne trouvent pas assez de bleuets dans les buissons. Je fais une pause à Terrace Bay dans les gorges d’Aguasabon avant d’arriver dans la grande ville.

mardi, juillet 25, 2006

Samedi 22 juillet, breakfast chez Boyd



Boyd me cuisine un vrai breakfast avec œufs, bacon, beans, toats et pamplemous. Royal. Il vient du Manitoba. C’est un gars des Prairies, pas bavard. Du genre taiseux. Il me montre juste ses photos de vacances à Saint-Domingue, le seul pays étranger où il ait jamais mis les pieds. A Marathon, ses contacts avec l’étranger sont d’ailleurs restreints. De temps en temps, il prend en stop des Allemands qui viennent travailler au parc provincial de Neys pendant l’été. On ne les a jamais revus (je déconne !!!!). Ses deux filles vivent dans le coin, sont mariées à des Franco-Ontariens en voie d’assimilation. Les petits-enfants parlent quand même un peu français, dit Boyd, qui, lui, n’en parle pas un mot. Je suis invitée à m’arrêter au retour.

Vendredi 21 juillet



Ce matin, je prends la route du Nord. La 17 contourne le lac Supérieur jusqu’à Thunder Bay, côté ouest. Une route de carte postale où le vert des sapins plonge dans le bleu du lac. Sur la carte, l’Ontario est criblé de ces taches bleues. Autant de lacs et de rivières qui abreuvent le lac Supérieur. La route fait des grands lacets, ménageant de superbes vues à chaque détour. Je ne résiste pas et pique une tête dans la baie d’Agawa. A Katherine Cove, la petite plage est abritée du vent, le lac peu profond, l’eau claire et douce. C’est ma douche gratuite de la journée. Dans la voiture, j’écoute Barbara.

Je m’arrête à Michipicoten Bay, un coin qui figure sur la carte du Canada depuis 1632. A l’époque de Champlain, c’était le point le plus à l’Ouest connu des Européens. La compagnie montréalaise du Nord-Ouest y a établi un poste de traite en 1723. Suivre la transcanadienne, c’est aussi remonter dans le passé de la France. Aujoud’hui, comme autrefois, on y fait du commerce. Mais les postes de traite se sont éclatés sur les bords de la route. Les Indiens vendent des peaux, des bijoux, des vêtements traditionnels typiques aux touristes de passage.

Je croise de plus en plus de cyclistes chargés comme des mulets qui descendent vite et remontent très lentement. Le trip ne me tente vraiment pas. C’est déjà assez fatigant en voiture. D’ailleurs je suis naze. Je m’arrête à Marathon, sur la rive nord du lac Supérieur. 5000 habitants à tout casser et un beau point de vue sur le soleil couchant du haut de Pebble Beach. Les gens du coin viennent assister à la scène dans leur pick-up. Devant, ce n’est plus un lac. C’est une mer dont on ne voit plus le bout. Hier, les vagues montaient presqu’à deux mètres, me dit un spectateur. Il s’appelle Boyd, est retraité de l’usine de papier qui tourne à plein régime en ville. Il va à la pêche et me propose une balade en bateau demain. J’accepte une autre proposition : un pot de confiture de bleuets. Mon pain de supermarché, mes tranches de jambon ramollies par la chaleur et mes carottes maigrichonnes ont dû faire un effet bœuf. Il me propose de m’héberger pour la nuit.

Sault Sainte Marie, ses écluses

Et pourtant, Sault Ste Marie vaut le détour. Pour ses écluses qu’elle partage avec sa voisine américaine. Là où le portage des canoës était nécessaire dans le passé pour contourner les rapides de la rivière Ste Marie, des écluses gigantesques permettent aujourd’hui aux cargos de passer. … Je fais le tour des écluses en bateau, l’une des principales activités touristiques du coin. Les bateaux de commerce passent tous du côté américain, où les écluses sont plus récentes et plus profondes. Là, on croise le Federal Yoshimo, un cargo japonais battant pavillon panaméen qui empruntera peut-être le Saint-Laurent pour rejoindre l’Europe. C’est le chemin le plus court pour acheminer les produits agricoles et industriels du cœur de l’Amérique du Nord vers les grands ports de l’Europe de l’Ouest. Entre le lac Supérieur et le lac Huron, le dénivelé est abrupte : 6 mètres environ. Le premier est vraiment supérieur. C’est lui le plus profond, et le plus pur, qui se déverse dans les lacs Huron, Michigan, Erié et Ontario avant de rejoindre le Saint-Laurent. Les bateaux de plaisance empruntent les écluses canadiennes. Des deux côtés, des touristes font des grands signes de la main.

Sault Sainte Marie, son shopping mall


Le présent est aussi absent que le passé. Le centre-ville n’est qu’un fantôme. On ne fait qu’y passer, en voiture de préférence, pour se retrouver dans les magasins et restaurants d’une tour commerciale. Située à deux pas du « waterfront », cette nouvelle bulle climatisée s’appelle Sears. Une vie de science-fiction où l’on vient manger comme on fait le plein de son auto. Parce qu’il le faut. Un autre « shopping mall » qui doit sans doute son succès aux hivers rigoureux et surtout venteux des Grands Lacs.

En même temps, c’est pas cher. Je finis mon assiette de junk food jusqu’à la dernière miette.

Ici, peu ou pas de double affichage. A part les bâtiments officiels, poste ou palais de justice, les commerces filtrent le français. Une crise linguistique est passée par là en 1990, après que l’Ontario a adopté la loi sur les services en français. Le conseil municipal déclara l’anglais seule langue de travail de la municipalité, soutenu par une pétition de 25.000 signatures qui demandait l’élimination du français dans la ville. Si la cour supérieure de l’Ontario a déclaré nulle cette résolution d’unilinguisme, il y a des restes.

Jeudi 20 juillet


C’est ma deuxième nuit dans la voiture et je n’ai pas encore trouvé la bonne position entre le coffre et les sièges arrière repliés. En diagonale, j’y suis presque, mais je heurte quand même le siège d’un pied. Unijambiste, je serais vraiment à l’aise. 7h. Les mouettes crient le ralliement. 7h30. Les douaniers, reconnaissables à leurs bandes jeune fluo, arrivent à vélo. C’est pas violent ici au niveau boulot. Je déjeune devant un beau paysage avant de reprendre la route.

Quelque 80 kilomètres pour arriver à Sault Ste Marie. Je ne sais pas pourquoi je fantasme sur cette ville que je ne connais pas, qui ne figure même pas dans le guide du routard. Une ville située entre les lacs Huron et Supérieur, juste en face de sa sœur jumelle américaine, qui porte le mêm nom. Le coureur des bois Etienne Brûlé, qui a vévu avec les Hurons au début du 17e Siècle avant d’être dévoré par eux, est le premier Européen à être arrivé là, sur les rives des Grands Lacs. A l’époque, on cherche un passage vers la mer de Chine. Un poste de traite est fondé. Et une mission catholique qui n’a tenu que trente ans, menacée par les Iroquois, abandonnée en 1689. « Soo Ste Marie », disent les anglophones. Une ville, qui comme toutes les grandes villes de l’Ouest, doit son essor à l’arrivée du chemin de fer, le Canadian Pacific Railways. Le train est arrivé là en 1887.

Thessalon, sur les rives du lac Huron


Dehors, je suis aveuglée par le soleil. Je reprends la route en ne sachant pas vraiment si je dormirai ce soir à Sault Ste Marie. Mais après North Bay et Sudbury, j’ai envie d’une petite ville, d’un village… Je m’arrête à Thessalon, sur les rives du lac Huron. Pas plus de 3.000 ou 4.000 habitants. Et une marina synonyme de paradis. Du vert et du bleu, la couleur des lampadaires, des bancs et du toit des douanes canadiennes. L’odeur de la mer, les mouettes. Marina ? Le terme est un peu pompeux. Une quinzaine de petits bateaux à moteur sont rangés dans le port. A mille lieux du parking de Wall-Mart, je profite du calme et du soleil couchant pour sortir mon ordinateur portable. « On bosse n’importe où aujourd’hui, n’est-ce pas ? », me lance un pêcheur en revenant à terre.

Franco-Ontariens à la place de Canadiens-Français

Aujourd’hui, les Franco-Ontariens ne sont plus bûcherons. Et ont d’ailleurs perdu l’appellation contrôlée de Canadiens-Français. La Révolution tranquille est passée par là. Dans les années 60, le Québec sort de l’emprise de l’église catholique. La langue, gardienne de la foi ; la foi, gardienne de la langue, c’est fini. Les Canadiens-Français du Québec se construisent une nouvelle identité : le Québécois est né. Ils larguent les amarres, prenant leurs distances avec le reste du Canada et donc, aussi, des communautés francophones éparpillées à travers le pays. « Nous en Ontario, on s’est senti abandonné, dit Janelle Giroux, étudiante à l’université laurentienne de Sudbury qui travaille au centre franco-ontarien pour la saison estivale. On a dû aussi se construire une identité. »

Le terme de Franco-Ontariens s’est progessivement imposé. L’histoire n’est pas figée. En perte de vitesse depuis plusieurs années, la communauté francophone de la région est remontée d’1% lors du dernier recensement grâce à l’immigration en provenance de Haïti et des pays d’Afrique de l’Ouest. Pas sûr que des Africains ayant dû apprendre «nos ancêtres les Gaulois » sous la colonisation française se mettent à réciter « nos ancêtres les bûcherons Canadiens-Français » dans leur nouveau pays d’adoption. « On est content, car on marque un point pour préserver le français, confie Janelle Giroux. Mais la communauté est divisée sur le sujet. Il ya des tensions, car on n’a pas le même passé : est-ce que des immigrants d’Afrique peuvent être considérés comme des Franco-Ontariens ? Je ne sais pas. »

"Neighbourhood watch"

Je lunche à l’ombre d’un arbre dans une rue résidentielle. Sous les yeux d’une vieille qui ne cessera pas de me mater tout le long du picnic. Je prends mon temps, m’asseois sur l’herbe, sors mon tupperware. « Neighbourhood watch ». Un panneau censé faire fuir les voleurs indique que les gens du quartier surveillent mutuellement leurs maisons: au lieu de me rassurer, ça me fait flipper. L’impression que quiconque sors du moule de la banlieue résidentielle est suspect. Suis-je suspecte, moi, avec mes carottes bio et mon roastbeef en promo ? Sans doute.

Je trouve refuge dans le centre franco-ontarien de folklore. Architecturalement, ça ressemble à un centre socio-culturel français qui aurait mal vieilli. A l’intérieur, c’est un musée et un centre de documentation consacrés à la préservation du patrimoine des francophones de l’Ontario. Un centre créé par un religieux, le père Lemieux, originaire de Gaspésie au Québec, qui a passé 40 ans de sa vie à collecter contes et chants populaires des Franco-Ontariens. Les Canadiens-Français qui sont arrivés là en masse au 19e siècle étaient des bûcherons. Des tableaux d’un peintre amateur pas très bon décrivent leur travail et mode de vie. Une lettre de 1937, d’une femme à son bûcheron de mari : «Mon cher mari, comme je te manque. Les trois petits aussi… » I miss you, tu me manques. L’influence anglophone se fait déjà sentir à l’époque dans le langage.

Une douche dans un truck-stop mennonite

J’ai l’air d’un brouillon. Je commene à puer. Je dépasse cle Canadian Pacific qui traîne ses wagons. Dessus, des conteneurs Hapag Lloyd me poursuivent depuis Anvers. Un truck-stop me tend les bras. Et offre un tableau hallucinant, où des femmes Mennonites, qu’on dirait sorties tout droit de « La petite maison dans la prairie », servent le petit-déj aux camionneurs. Deux mondes a priori à l’opposé l’un de l’autre se rencontrent. Contrairement aux Amishs, les Mennonites sont ouverts au progrès technologique. Ils ont juste oublié Coco Chanel : la mode, c’est ce qui se démode ! Mais à cette heure-ci, c’est surtout la douche à côté du resto qui m’intéresse : 5 dollars de bonheur en gouttes d’eau me tombent dessus. Je repars, toute fraîche, pour Sudbury. Avec, en tête, l’idée de découvrir le centre franco-ontarien de folklore, dans la rue Dollard.

Et là, c’est la galère. Pas de guide du routard qui couvre la région – pas assez touristique-, pas de plan de la ville. Et ma Ford Focus qui se perd sur l’asphalte brûlant de Sudbury, 150.000 habitants en comptant l’agglomération, dont 30% de francophones selon le recensement de 2001. Ce sont des employées de la Royal Bank of Canada qui me dépannent en imprimant une carte sur Google. Une coiffeuse, elle, m’invite à utiliser les toilettes de son salon (bon, c’est vrai, j’ai demandé).

Mercredi 19 juillet


Question sommeil, j’ai connu mieux qu’une Ford. 5h45. Le réveil est synonyme de courbatures. Je sors de mon paradis pour en rejoindre un autre. L’ancien ne rouvre ses portes qu’à 9h30. Le nouveau ne ferme pas un œil de la nuit. Il s’appelle Sobeys et vend de la bouffe. Il est à peine 6h30 et trois employées font déjà une pause cigarette. Je reprends la route. Arrêt à Sturgeon Falls. Bienvenue dans un îlot francophone où le cimetière regorge de noms familiers : des Cartier, Dompierre, Lajoie, Leblanc, Paquette, Lavergne. Des prénoms : Firmin, Caroline, Arthur, Angèle, Léon, Eustache, Napoléon… De quoi noyer les quelques Finley, Clifford ou McKeney. Sur les tombes, aucune date de naissance ne remonte avant la fin du 19e siècle.

14.000 habitants vivent dans l’agglomération de l’Ouest Nipissing, dont 75% de francophones ! « Tu vas au Québec, les gens pensent que l’Ontario est tout anglais. Mais plus que tu vas dans le Nord, plus que tu vas trouver de Français », dit Lynn Duhaime, du centre infotouriste. On participe à des foires pour montrer que des communautés francophones vivent ici. Pour nous autres, les Français d’Ontario, le Québec est un marché à aller voir ! »

Wall-Mart, le B&B des routards



J’ai la dalle. Il est 19h30, je traverse un centre-ville désert. Sur la carte, vu de loin, en bordure du lac Nipissing, North Bay a l’air sympa. Sur le panneau, c’est marqué 50.000 habitants. Mais personne en ville. Normal, ils sont dans les centres commerciaux périphériques, le must de l’Amérique. J’atterris par hasard à celui de Northgate, sur le parking de Wall-Mart. Une autre facette des grands espaces canadiens. Des panneaux vantent un centre "Five star shopping", « Magasinage cinq étoiles » en français. L’Ontario pratique le double affichage. La province accueille d'ailleurs la plus grosse communauté francophone du Canada en dehors du Québec. Dans ma bulle d’air climatisée, entre McDonald et un fast food japonais, pas loin d’un vendeur de DVD, je mange ma part de pizza peperoni. Derrière moi, un ado déjà obèse, s’entraîne à pleines bouchées, pour décrocher une artère bouchée avant ses 25 ans. La lose.

Dehors, c’est presque mieux. Je me gare près d’un camping car « New Horizons » qui ressemble à un bus. Plaque d’immatriculation texane. A côté, ma Focus a l’air d’un insecte. Mais j’ai besoin de compagnie pour la nuit. Et d’autres bus de camping commencent à peupler le parking du Wall-Mart. Un trailer park sauvage, mais sans tziganes, au bord de la transcanadienne. Sur le squat, personne ne se balade vraiment. Seule une mamie promène son chien entre les taches d’huile.

Mattawa après la tempête


A la radio, on parle du Tour de France qui vient de passer à Grenoble. Yann Tiersen prend le relais du journaliste. Pas la peine d’aller si loin ! Pause pipi à Deep River, baptisée rivière creuse par Samuel de Champlain à une autre époque. Un château d’eau, un burger king. La route est droite. Les sapins jouent aux montagnes russes, montent, redescendent, tourent à gauche ou à droite… Le soleil tape fort sur mon bras gauche qui va finir par cramer. Je veux m’arrêter avant Mattawa, prendre une photo. Mais il faut croire que l’arrêt en bordure de la 17, comme ça juste pour le plaisir, n’est pas courant. Une voiture fait demi-tour pour savoir si tout va bien.

A Mattawa, ancien poste de traite, un indien invite le voyageur à visiter le Trading Post, où se vendent des souvenirs plus ou moins en phase avec les temps lointains. Des figures en bois représentant indiens, trappeurs, voyageurs peuplent la ville. Avec tout ce qui est tombé la veille, ils pourront en sculpter d’autres. Des arbres gisent à terre, d’autres sont carrément affalés sur des maisons. Des gars enlèvent les branches les plus dangereuses qui jonchent la route. Une tornade, rare dans la région, est passée par la hier, me dit un des types. Des vents à 150 kilomètres heure qui ont couché les arbres sur leur passage. Du coup, le parc provincial Champlain, et son camping susceptible de m’intéresser, ont été fermés. Pas de pause ici ce soir. Je trace vers North Bay. J’ai presque 600 bornes dans les roues et rate un autre camping.

Guidée par une feuille d'érable


Presque quatre cent ans après que Samuel de Champlain ait fondé Québec, je longe la rivière des Outaouais par laquelle les explorateurs européens, coureurs des bois et autres voyageurs ont pénétré dans le continent nord américain. Ils pensaient trouver un accès vers la mer de Chine. Aujourd’hui, je roule sur le bitume plus ou moins abîmé de la transcanadienne. Une route dont les travaux ont débuté en 1950, inaugurée en 1962, mais dont la construction s’est en fait poursuivie jusqu’en 1971. Je ne passe pas au coupe-coupe dans la forêt, je suis la feuille d’érable verte qui me devance en permanence, symbole de la « transanadian highway ».

Ottawa, la capitale. Je ne m’arrête pas, je file sur la 417 qui traverse la ville. Echappant à ce que je connais déjà (un peu) pour mieux explorer l’inconnu. 12h30 Arnprior. J’ai faim, la voiture a l’estomac à moitié vide. J’ai parcouru presque 260 kilomètres, soit 19$ d’essence. Ma Focus mangera pour plus cher que moi pendant ce voyage. C’est presque mon seul signe de richesse. Un trésor de 2300 euros qui m’oblige à économiser sur les nuits. Métro, boulot, dodo, ce n’est pas pour moi. Je compte tout faire, ou presque, dans mon auto.

Mardi 18 juillet 2006


Une Ford Focus bleu pétant. Je ne peux pas la louper sur un parking de supermarché. Il est 9h30, je pars de Montréal. L’orage de la nuit précédente a rafraichi l’air. Sur l’autoroute 40, qui traverse l’île de Montréal, je me fais doubler par la plupart des voitures. Au cul, j’ai la devise québécoise « Je me souviens ». Avec son drapeau à fleurs de lys, le Québec me poursuit jusqu’à la frontière de l’Ontario. Je sais ce que je quitte, l’âme francophile, fumeuse, un peu bordélique, presque latine du Canada. Je ne sais pas ce que je trouverai ailleurs. Je peux juste deviner : des lacs, des forêts, des prairies, des Indiens, des cow-boys, du pétrole… Le Pacifique. Et, tout au long du chemin, des communautés francophones éparpillée sur un territoire immense parlant majoritairemnt anglais. Au Canada, le français est la langue maternelle d’environ 6,7 millions de personnes sur une population de 30 millions d’habitants. Cest la minorité linguistique la plus importante du pays. Pour les Français de France, ça se résume au Québec. Il est vrai que la province rassemble à elle seule plus de 85% des francophones du pays. Ça en fait peu pour les autres. Surtout quand on sait qu’un autre 10% vit dans les provinces limitrophes du Nouveau-Brunswick et de l’Ontario. Autant dire que la dispersion linguistique francophone est la règle dans l’Ouest du pays.

Prologue

« Vous voyagerez beaucoup par plaisir et pour le travail ». Je ne sais pas si je dois croire le message que je trouve dans le fortune-cookie en sortant d’un restaurant chinois de Montréal. Il est trop tôt pour savoir si j’arriverai au bout de la transcanadienne. La route nationale la plus longue au monde, annoncent fièrement les sites officiels canadiens : 7.821 kilomètres entre St. John's, à Terre Neuve, et Victoria, en Colombie-Britannique, soit une traversée des dix provinces du pays. Je me contenterai de six d’entre elles : j’ai deux mois et demi pour faire l’aller-retour Montréal-Vancouver. Au moins 10.000 kilomètres en perspéctive.