Le Canada d'Est en Ouest

samedi, septembre 30, 2006

Dimanche 24 septembre Retour à Winnipeg



Il est 8 heures quand j’émerge de mon coffre. Un taxi vient de déposer trois jeunes devant moi. La fille sort en courant, vomit sur la pelouse les restes de son samedi soir. Good morning Brandon. Je me casse.
« Winnipeg, 16°C, ciel bleu, belle journée d’automne », écrit un touriste français sur le livret des visiteurs de La Fourche. Je suis de retour en terrain connu.

La plate Transcanadienne



Je retrouve les silos à blé, mes cailloux de Petit Poucet sur la très plate Transcanadienne. Sur la deux fois deux-voies, des pick-up filent à toute vitesse, mais d’autres peuvent débouler à deux à l’heure d’un chemin de terre. La route fait des ravages ici : je roule sur des restes de ratons-laveurs écrasés, un renard éclaté, un bout de pneu qui n’a pas résisté au bitume (ça fait moins mal). Tracy Chapman veut une Fast car, a ticket to anywhere. Moi, je sais où je vais. Winnipeg est à 6h30 de route, m'a dit Danielle au téléphone. La bonne Samaritaine qui m’a hébergée lors du voyage aller il y a presque deux mois, m’attend pour l’étape du retour. C’est mon gîte rural trois étoiles de Saint-Pierre-Jolys, un des villages francophones au sud de Winnipeg.

La highway 1 rétrécit, perd sa deux fois deux-voies. Samedi à 17h, un chantier est encore en cours pour élargir la route avant l’arrivée au Manitoba. La Transcanadienne est un chantier perpétuel. A 18h, je franchis la frontière manitobaine. En même pas une seconde, il est 19h. Je continue jusqu’à Brandon. C’est un samedi soir sur la terre. Entre les stations Esso et Husky, Tim Hortons fait le plein de clients.

Si loin, si proche du wild wild West



J’en suis encore très loin dans le Palais législatif du Saskatchewan. Un autre spot classieux de Regina, dans le parc Wascana. Comme à Edmonton, c’est là que les mariés sont pris en photo. Je suppose que c’est mieux que devant un Tim Hortons.

Dans les salons de la haute société de Regina



Regina est fière de ses vieux bâtiments. Il y en a quelques-uns dans le centre-ville. Dans un pays à l’histoire aussi récente, tout ce qui remonte avant le 20e siècle est chéri comme le trésor d’un passé lointain. Le Government House par exemple, la maison du lieutenant-gouverneur, représentant de la reine d’Angleterre dans les Territoires du Nord-Ouest, a été construite en 1891. L’actuel, qui représente le reine dans le Saskatchewan n’occupe qu’une petite partie du bâtiment en briques. L’autre partie a été transformée en musée. A l’intérieur, c’est comme dans un film anglais. J’attends presque une apparition d’Anthony Hopkins en tenue de majordome. Mais je ne suis pas dans les vestiges d’un jour. Je suis à des milliers de kilomètres, dans les vestiges de la haute société de Regina au tournant des 19e et 20e siècles.

Anne-Lise déboule dans des vêtements d’époque. Elle est guide, complètement bilingue (sa mère est française d’origine). Elle est toute excitée que je sois venue me perdre dans son royaume. J’ai droit à une visite en français pour moi toute seule. J’apprends qu’un perroquet francophone pérorait dans le bureau du représentant de la Couronne britannique à la fin du 19e siècle, que la salle de billard était interdite aux femmes -les hommes y parlaient politique et affaires « sérieuses » en fumant le cigare et en buvant du cognac-, que les repas duraient entre deux et quatre heures, mais que les femmes, serrées dans leurs corsets, ne pouvaient de toute façon avaler qu’une bouchée de chaque plat. « A l’époque, j’aurais préféré être une femme pauvre », glisse Anne-Lise. Moi, j’aurais préféré être un homme riche. Dans les salons du Government House, je suis en tout cas très loin du wild wild West.

Samedi 23 septembre Regina, capitale des Tuniques rouges




Regina, c’est l’ancienne capitale des Territoires du Nord-Ouest. C’est encore aujourd’hui le quartier général de la Gendarmerie royale du Canada. Un corps policier à cheval créé en 1873, soit six ans après la fondation du dominion du Canada, pour « imposer la paix et l’ordre » dans les Territoires du Nord-Ouest. En 1867, quand l’Acte de l’Amérique du Nord britannique est signé, le Canada ne regroupe « que » les territoires actuels du Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse. Deux ans plus tard, le Canada met £300.000 sur la table pour racheter la Terre de Rupert à la Compagnie de la baie d’Hudson. Une terre qui va du Manitoba à la Colombie-Britannique. « Maintiens le droit » (sous-entendu britannique), c’est la devise de la Police montée qui commence par chasser les fauteurs de troubles américains des Territoires nouvellement acquis. Mais les Tuniques rouges, ce n’est pas comme dans la série télé. Surtout pour les Indiens et les Métis. Le musée consacré à la Police montée, à l’intérieur de l’école de la Gendarmerie royale, ne s’attarde d’ailleurs pas trop sur le soulèvement de Batoche et la pendaison de Louis Riel.

samedi, septembre 23, 2006

Les Fransaskois au 5 à 7 de Regina


Comme les francophones du Saskatchewan ? La comparaison fait rire Ronald Labrecque, dont l’arrière grand-père est venu du Québec au début du 20e siècle. 1$, c'est ce que lui a coûté la terre à l’époque. Ils sont environ deux milles aujourd’hui à Regina sur une population de 200.000 habitants ; 25.000 dans toute la province. Je suis au 5 à 7 du carrefour des Prairies, un autre plan de Claire, où se rencontrent les Fransaskois de Regina tous les vendredis soirs. C’est à la fois une école et le siège de l’Assemblée communautaire fransaskoise qui regroupe toutes les associations francophones de la province. Et un bistro qui sert un choix de poutines, poutine classique, poutine italienne, au poulet, à la saucisse... Ce soir, on fête le départ de Françoise. Elle repart au Québec après avoir travaillé quelques années à Regina. Françoise est émue. Elle a « les yeux pleins d’eau », comme elle dit.

Les activités communautaires, c’est le seul moyen de lutter contre l’assimilation linguistique. «78% des enfants de francophones du Saskatchewan perdent le français, c’est le taux le plus haut de tout le Canada, se désole Ronald. Les francophones pensent qu’en parlant un peu français à leurs enfants, ceux-ci seront bilingues. Mais c’est un myhthe : il faut voir que tout l’environnement ici est en anglais.Quand tu sors de la maison, que tu prends le bus, que tu demandes l’heure… Il faut beaucoup d’efforts pour compenser l’effet environnement. »

Comme les Indiens, les Fransaskois reprennent du poil de la bête depuis une dizaine d’années. «Depuis qu’on a une école», précise Ronald. Le système scolaire va de la halte-garderie jusqu’au lycée. « L’Alberta, aussi surprenant que ça puisse paraître, vient d’adopter une loi qui impose l’apprentissage de deux langues. Les études montrent que dans 70% des cas, le français serait choisi comme deuxième langue, y compris dans des milieux d’autres origines comme des Allemands ou des Ukrainiens. En Saskatchewan, on essaie de pousser le gouvernement dans le même sens.»

Ronald Labrecque travaille à l’Assemblée communautaire fransaskoise. Une partie de son boulot consiste à gérer les dossiers d’immigration. Car le Saskatchewan, plus que n’importe où ailleurs au Canada, est une terre hémorragique. Ça urge tellement que la province accélère le processus d’immigration en délivrant d’abord un permis de travail. « Sinon, ça prend au moins deux ans avant que les gens arrivent. On doit vérifier que le poste ne peut pas être pourvu par un Canadien. Mais il y a des secteurs où les besoins sont énormes : la petite enfance, la santé, le social. On cherche aussi à attirer des agriculteurs. »

"Eduquer nos gens"


« Il nous fallait un lieu pour éduquer nos gens, me dit Tony, un Saulteaux qui travaille à l’université. Autrefois, il y avait les écoles résidentielles. C’était terrible. Mais même aujourd’hui, les Indiens ne sont pas toujours bien acceptés dans les universités. » Celle des Premières nations de Regina accepte tout le monde, Indiens ou non. Ils sont 1.200 étudiants sur le campus de Regina, 3.000 si l’on compte les deux campus satellites de Saskatoon et Prince Albert plus au Nord. Les professeurs viennent de partout. « Mais le but est à terme de former nos propres professeurs », précise Tony. Son petit-fils est étudiant à l’université. Les Indiens ne veulent plus être des victimes, mais être acteurs de leur vie.

Vendredi 22 septembre Une université construite et gérée par les Indiens





Dans le top 5 de mes nuits dans la voiture, je compterai celle-là. Pas un bruit dans la rue résidentielle, pas une voix, pas un claquement de portière. C’est la pluie qui me réveille à 7h du matin.

Saskatchewan, Land of living skies. C’est marqué sur les plaques d’immatriculation tout autour de moi. Regina, ancienne capitale des Territoires du Nord-Ouest, est aujourd’hui la capitale provinciale censée être la plus ensoleillée du Canada. Je n’ai pas de soleil, mais une auberge de jeunesse et Claire Bélanger-Parker. J’ai sa carte, marquée « présidente directrice générale Conventions N’Tours ». C’est une amie de Darlene Mullis, la rancher de Jack Pine Stables chez qui je suis restée à Duck Lake il y a plusieurs semaines. Claire est du Québec, une ancienne de la télévision de Radio-Canada partie suite à un plan social en 1997. Elle est venue s’installer là, au milieu des prairies, a monté sa boite. Elle propose des visites guidées, des circuits à la découverte des Métis, des organisations de congrès… Elle me file plein de tuyaux sur Regina.

Comme l’Université des Premières nations. Un grand bâtiment en verre qui a ouvert il y a trois ans. Le projet est né d’une vision des chefs Dénés. Il a fallu trente ans aux cinq nations indiennes du Saskatchewan – les Cree, Saulteaux, Lakotas, Dénés et Assiniboines - pour le concrétiser. C’est la seule université indienne de ce genre au Canada. Dans le hall, il y a un tipi géant vitré dans lequel se déroulent des cérémonies du calumet tous les seconds jeudis du mois.

C'est long, c'est lent


Je reprends la route toute droite vers le Sud, rattrape la Transcanadienne toute droite vers l’Ouest. C’est long, c’est lent. J’ai une super idée pour remplacer le café : la piscine. L’idéal, c’est la petite ville où l’on n’a pas à la chercher pendant des kilomètres. A Brooks, elle est dans le recreation center. Il y a un grand bain, un jacuzzi, un toboggan, des douches. Ça réveille et ça détend.

Dans le rétroviseur, le ciel est de plus en plus noir. C’est le soir, mais quand je passe la frontière du Saskatchewan, il fait bizarrement plus clair devant moi, vers l’Est. Il pleut. Mes essuie-glaces dansent sur la voix de Janis Joplin, au rythme de Litte girl blue. J’ai l’impression d’être dans une pub. Je roule sur une Transcanadienne de plus en plus rapiécée. Je trace vers Swift Current. Sur la carte, le point est moyennement gros. Pour mon petit-déjeuner, j’aurai peut-être un Tim Hortons.

Les Hooddos, un bout de Turquie en Alberta



Il ne fait pas encore un froid à tuer un dinosaure en Alberta. Mais ça se rafraîchit. Je fais la route des mauvaises terres sous un mauvais temps, fais un détour par les Hoodoos, des cheminées de fées sculptées par l’érosion qui ressemblent à de gros champignons. Comme une mini Capadocce turque qui se serait perdue au Canada.

Du pétrole dans les riffs


Je dois lever la tête pour voir le Tyrannosaurus Rex, le plus imposant des carnivores. Des os qui remontent entre 245 et 65 millions d’années, quand les dinosaures peuplaient la planète. Je fais un grand bond dans le passé. C’est long : la terre a 4500 millions d’années. Avant les dinosaures, il y a eu notamment la création des Riffs. L’Alberta était sous les Tropiques, mer chaude peuplée d’organismes, roches poreuses où s'accumulent les fossiles. C’est dans un de ces trous que l’Imperial Oil’s a trouvé du pétrole à Leduc en 1947. Si l’Alberta a tant de pognon aujourd’hui, elle le doit aux riffs créés il y a 400 millions d’années. Pas facile de rendre à César ce qui lui appartient.

Je croise des reptiles volants, nageants, avec des grandes griffes… Je suis bien contente d’être dans la période du Quaternaire, de partager la terre avec les ours et les éléphants.

Jeudi 21 septembre Les dinosaures poussent sur les mauvaises terres



Je suis au cœur des Badlands, dans la vallée de la rivièr Red Deer. « Les mauvaises terres », ainsi baptisées par les premiers Canadiens-Français parce que rien n’y poussait. Un paysage de canyons sculptés par l’eau, le vent et la glace il y a 70 millions d’années. Les Indiens et les bandes de hors-la-loi venaient y trouver refuge. Un canyon a même été baptisé « voleur de chevaux ».

Au début du 20e siècle, c’est le charbon qui faisait vivre les communautés autour de Drumheller. Mais la ville est connue aujourd’hui davantage pour son gisement de dinosaures, le plus important au monde. Un géologue, Joseph B. Tyrell a découvert son premier squelette d’Albertosaurus en 1884 dans la vallée. D’autres ont suivi, en grand nombre, au point d’ouvrir le plus grand musée paléonthologique mondial consacré aux dinosaures. Je ne suis pas fan de géologie, je n’ai même pas vu Jurassik Park. Mais on peut passer des heures au Tyrell Museum sans s’ennuyer. C’est un de ces musées hyper pédagogiques que savent faire les Canadiens. Au musée Tyrell, des paléontologues travaillent sous les yeux des visiteurs, font un travail de dentiste sur des cadavres.

De Calgary à Jurassik Park




Il fait presque chaud quand je quitte Calgary. Je me plante, prends la mauvaise sortie. Les rues défilent comme la BO de Jackie Brown. J’ai l’impression d’être sur la 110th street. Je vois Pam Grier qui tire sa valise à roulettes sur le tapis de l’aéroport. Je fais demi-tour, je cherche la route du Nord pour rejoindre les Badlands de l’Alberta. Je la trouve. Les champs remplacent progressivement les maisons. C’est jaune et sec. Les moissons ont démarré la semaine dernière et se poursuivent encore. La 72 devient la 9. Je peux presque voir le bout de cette route toute droite. Je peux presque voir le dinosaure de 25 mètres qui trône devant l’office de tourisme de la petite ville de Drumheller. J’arrive à Jurassik Park.

Les Indiens comme attraction touristique


Au début du 20e siècle, les Rocheuses commencent à attirer les riches Européens, les touristes canadiens et américains. Des Indiens sont réquisitionnés par le chemin de fer pour se tenir en habits traditionnels devant les chalets. « On avait voulu nous éradiquer, on nous utilisait maintenant pour promouvoir une destination touristique. »

Aujourd’hui, ils ne sortent leurs coiffes et leurs mocassins plus que pour les pow-wows. D’ailleurs, sur l’écran, Pete Standing Alone porte une chemise et un chapeau de cowboy.

Le kollkhoze blackfoot


Décimés par la varicelle et la scarlatine, n'ayant plus rien à manger, les Blackfeet rejoignent les réserves. Leurs enfants sont envoyés dans les residential schools. Ils doivent apprendre l’agriculture et l’élevage. Ils le font en puisant dans leur propre culture, travaillant en communauté. Comme un kolkhoze soviétique avant l'heure. «Mais les Blancs pensent qu’il faut d’abord détruire notre culture pour que l’on réussisse ». En 1889, une loi oblige chaque adulte à s’occuper seulement d’un acre de terre et d’une ou deux vaches. Pas plus. Les terres qui ne sont pas cultivées sont louées, vendues ou données à d’autres fermiers. L’expérience est désastreuse.

Les Tuniques rouges


Au début, les Redcoats de la Police montée des Territoires du Nord-Ouest, l’ancêtre de la Gendarmerie royale du Canada, sont les bienvenus parce qu’ils chassent les dealers d’alcool. C’est même leur première mission : une armée d’occupation chargée de ne pas laisser les Américains faire de la contrebande sur les territoires laissés sans protection. Mais les Tuniques rouges ne tardent pas à promulguer leurs lois, à limiter les droits de chasse des Indiens. « Les Européens ne comprennent pas notre système de gouvernement. Chez nous, il n’y a pas un seul chef qui prend des décisions pour toute la population, mais plusieurs chefs qui cherchent le consensus. » Les Indiens qui commercent avec les Blancs s’enrichissent, changeant les rapports de pouvoir, diminuant l’autorité traditionnelle des chefs.

Des chevaux aux Blancs


Avant le Blanc, il y a eu l’arrivée du cheval. Un animal baptisé elk dog, chien-élan parce qu’il était « aussi grand que l’élan et faisait le même travail que le chien ». La première fois que les Blackfeet ont vu des chevaux, ils étaient montés par les Shoshone contre lesquels ils étaient en guerre. On est au début du 18e siècle. Les Blackfeet perdent la bataille. Le cheval va changer leur vie, rendant les déplacements et le portage des tipis plus faciles. Ils vont plus vite, plus loin. Il n’y a pas encore de barbelés, ni de droits de passage pour traverser les prairies.

La terre n’appartient à personne, appartient à tous. Jusqu’à l’arrivée des Napikowann, les Blancs, qui commencent à établir des postes de traite dans le Nord. Ils veulent des fourrures et du pemmican (la viande de bison séchée, nourriture de base dans les Plaines). Les Blackfeet commencent à chasser les animaux pour leurs fourrures. Du Sud, d’autres Blancs arrivent. Des Américains qui troquent des bouteilles de whisky contre des peaux de bison tannées qu’ils envoient dans l’Est des Etats-Unis. Le bison devient plus rare. En 1879, il n’y en a déjà presque plus.

Mercredi 20 septembre Les Blackfeet par eux-mêmes



En plein centre ville de Calgary, un 4X4 tire une plateforme surmontée d’un taureau empaillé. Je suis au pays des cow boys. Sur ce qui était le territoire de chasse des Indiens Blackfeet. Ces Indiens des plaines étaient chez eux de la rivière North Saskatchewan jusqu’à la rivière Yellowstone au Sud, dans ce qui est aujourd’hui l’Etat américain du Montana, des Rocheuses à l’Ouest aux Sand Hills du Saskatchewan à l’Est.

Leur territoire actuel est beaucoup plus restreint, quelques réserves à l’est et au sud de Calgary ainsi qu’aux Etats-Unis. Mais au Glenbow Museum de Calgary, les Blackfeet s’expriment. Pour une fois, on ne parle pas à leur place. « Pieds noirs », c’est le nom que leur ont donné les Blancs. Ils se désignent eux-mêmes comme Nitsitapiksi, the real people. L’Histoire est d’habitude écrite par les vainqueurs. Bienvenue dans le récit des perdants. De l’autre côté de la conquête de l’Ouest.

mardi, septembre 19, 2006

Du froid au chaud





En journée, il n’est pas non plus très bandant (le centre-ville, pas Todd. Enfin, quoique…). Emmitouflée dans mon Kanuk, j’erre entre des immeubles sans âmes, passe devant des magasins, croise des gens pressés qui vont travailler. Je cherche des cigales, je ne trouve que des fourmis.

Je recroise Todd deux fois dans cette ville de près d’un million d’habitants. La fatigue et le froid me font rentrer à la maison : l’AJ est chauffée comme si on était en février.

Les règles de politesse canadiennes


Je suppose qu’il faut voir Calgary en juillet pendant le Stampede, le plus grand rodéo du Canada. En septembre, Calgary a son étiquette ordinaire, celle du siège de l’industrie pétrolière canadienne. La capitale de l’or noir, avec ses tours Chevron ou Husky. Des gratte-ciel tentant de toucher un ciel si bas qu’un canal pourrait s’y perdre.

Je prends un lit à l’AJ et un sandwich au poulet au Subway, sur la 8e avenue. Je demande l’heure et me retrouve embarquée à la table d’un Calgarien (?) . « From France ! Hey guys, this lady’s from France. » Le type derrière le comptoir n’en a rien à cirer et je le comprends. Pas Todd, account manager de Western Petroleum Management. Il est jovial, un peu dégarni, commence à bedonner. Il me dit qu’il est en pleine « mid-life crisis », la crise de la quarantaine. J’observe pour la énième fois un phénomène très nord-américain : la facilité qu’ont les gens à parler à d’autres gens qu’ils ne connaissent pas et, la plupart du temps, qu’ils ne connaîtront jamais vraiment.

Pour une Française comme moi, ça a quelque chose de sympathique, mais qui semble aussi forcé, comme une règle de politesse à respecter. Il y a parfois une certaine formalité dans ces échanges qui paraissent informels : on échange deux ou trois banalités, puis chacun se lève, tend la main vers l’autre en disant son nom, suivi en général d’un « nice to meet you ». On peut très bien en rester là et chacun replonger dans son bouquin !

Ou comme Todd, faire défiler sa vie. En trente minutes, j’ai droit à toute une séquence nostalgie. Todd aurait voulu être écrivain, écrire des chansons notamment. Il me parle de New York, de l’époque de Greenwich Village, des hippies… Bref, un monde très éloigné de sa vie actuelle. « Ici, il n’y a pas grand chose d’intéressant : il n’y a que des trentenaires qui se font un paquet de pognon. Les gens préfèrent rester dans leurs maisons en banlieue. A part le week-end, le centre-ville est désert le soir.»

Mardi 19 septembre L'hiver français



J’ai sorti ma couverture de survie. Je sais qu’il fait plus de 0°C parce qu’il pleut à Banff. Pas beaucoup, mais un petit peu. Calgary est à une centaine de kilomètres. Calgary, 3°C, dit la radio. De la neige fond déjà sur les bords de la transcanadienne. C’est vraiment l’hiver, pas encore l’hiver canadien, mais au moins l’hiver français.

Retour à Banff


Banff. Je l’ai quittée il y a un mois, presque jour pour jour. C’est l’avantage de revenir sur ses pas : je suis en terrain connu, à défaut d’être conquis. La neige est beaucoup plus présente sur les sommets. Mais il y a quelque chose de confortable et de rassurant à savoir que je peux aller m’affaler sur le canapé de l’AJ sans avoir à montrer patte blanche, à savoir aussi dans quelle rue calme je peux me garer pour la nuit.

Les chutes Takakkaw




Je perds une heure, mais j’ai le droit à une deuxième chance pour voir les chutes Takakkaw qui font un saut de 380 mètres de haut. Il faut suivre une route étroite et sinueuse, emprunter une drôle d’épingle à cheveux, passer en vitesse 1 sur l’automatique… Takakkaw, ça veut dire « magnifique » en langue cree. Au pied d’un rocher, des touristes forment un cercle autour d’un Indien. Il a un bandeau autour de la tête, style Geronimo dans les westerns. Les touristes ont la veste North Face. Ils ferment les yeux comme en prière. Dans la catégorie touriste, les couples et les retraités ont remplacé les familles et les bandes de jeunes.

Sur les sommets, le blanc a gagné du terrain ; sur les flancs, le vert perdu de sa vigueur, mangé par du jaune et déjà un peu de rouge. Il fait froid, il fait gris, mais les Rocheuses sont toujours aussi époustouflantes. Je suis en Alberta.

Le train sifflera trois fois


J’entends siffler le train. Les conteneurs Hapag Lloyd emmènent leurs marchandises vers l’Ouest. Moi, je repasse le parc des Glaciers, le col Rogers, Yoho…

Revelstoke, retour au paradis




Revelstoke, sa voie ferrée qui traverse la ville, ses quelques bâiments en brique qui la font passer pour vieille. Je retrouve le fleuve Columbia et des cafés en terrasse. Une certaine idée du paradis pour un(e) Européen(ne).

Lundi 18 septembre Revelstoke, paradis (suite)



Revelstoke a aussi une piscine qui ouvre à 6h30 pour le cours d’aquagym. Je le sais parce que je dors sur le parking. A 7 heures, il y a déjà des mères avec leurs bébés, des grosses et des vieilles qui font de la remise en forme. Pour 4$, j’ai la totale : un couloir de natation pour moi toute seule, une rivière bouillonnante qui envoie des jets d’eau chaude, un jacuzzi, une douche. Rien à voir avec les Hots Springs de Banff : ici, il n’y a que des locaux. Un type se gratte le ventre : « C’est tranquille, paisible ici, n’est-ce pas ? Une petite ville où tout le monde se connaît. Je devais aller passer deux semaines à New York avec ma femme : je suis revenu au bout de cinq jours. Trop de bruit, trop de gens qui courent partout… » A travers les baies vitrées, on voit les montagnes environnantes, leurs sommets enneigés.

En ville, il y a même un Jus juiced and bean caffè qui sert du café bio sur des canapés noirs en distillant du jazz. Revelstoke, c’est le bon plan, même quand il pleut.


lundi, septembre 18, 2006

Un beau jour, ou peut-être une nuit...



Je cherche un bord de route avec du soleil, des chiottes, voire une table de pic-nic. Les voitures filent à toute vitesse. Je m’échappe par une petite route dans la forêt. Je pisse derrière ma voiture, en totale communion avec la nature. Je m’étire, j’ouvre mon coffre pour me faire un sandwich. Près du lac, je ne me suis heureusement pas endormie. Il surgit derrière moi, l’ours noir. Il est immobile, à quelque cinquante mètres. Ni très grand, ni très petit. L’air tranquille, genre « t’inquiète pas, je suis un ours sympa ». Je referme mon coffre, rentre dans ma voiture blindée, prend une photo à l’arrache, démarre.

Je m’arrête 500 mètres plus loin. Entre l’ours et moi, il y a maintenant la Transcanadienne peuplée et bruyante. Je bouffe mon sandwich en regardant derrière moi de temps en temps. Au cas où, on sait jamais. Je me sens comme un mec pas très costaud qui vient d’être parachuté en prison.

Dimanche 17 septembre Des bancs de brouillard




Ça caille. 4°C dit la radio. Mais il fait beau. Je traverse des bancs de brouillard en quittant Kamloops. Jour, nuit. Jour, nuit. A Salmon Arm, il fait jour. Je suis sur les bords du lac Shuswap. C’est joli, c’est dimanche matin. Je rêve d’un petit café où lire le journal. Un autochtone m’indique le McDonald ou Tim Hortons. J’abandonne. A 100 bornes de là, il y a Revelstoke, une petite ville que je connais déjà, qui a un vrai centre-ville. Je suis aux portes des Rocheuses, sur cette route de fond de vallée que j’ai parcouru de nuit il y a environ un mois.

L'été de Cache Creek



Et, puis, sans prévenir, c’est l’été à nouveau. Il se cache derrière Cache Creek, là où le soleil continue de brûler les collines. Je suis au Nouveau-Mexique et j’ai faim. Je fais ma première rencontre avec A&W dans une station service. La lose. Le fast food fête ses cinquante ans. Je ne sais pas à quoi ressemblait le « grand’pa burger » des années 50. Celui des années 2000 dégouline de gras sur ma serviette en papier. A côté, je me rends compte que Tim Hortons est un palace.

Je rejoins la Trans-Canada highway 1, je passe des cultures de gin-seng dans la vallée de la Thomson river. Kamloops scintille au loin. C’est la grande ville avec ses shopping malls, son Superstore, son Gas bar, son Starbucks ouvert 24 heures sur 24. Je cherche un hébérgement dans une rue résidentielle. Je me gare devant la seule maison qui pratique l’arrosage automatique sauvage à 3h du matin.

La 99 North, des tapis de sapins


Je passe. Et j’arrive sur une des routes les plus belles que j’ai empruntées jusqu’à présent au Canada. Cent kilomètres de panorama garanti sur les montagnes entre Pemberton et Lillooet. La 99 North se rétrécit. Elle devient aussi défoncée que sinueuse. Les sapins et la verdure la grignottent même sur les bords. Je dépasse des pics enneigés, des vallées de sapins qui ont dû être replantés. Je mets deux heures pour parcourir 100 bornes sous un temps à neige. Comme si l’hiver me tombait dessus soudainement.

Samedi 16 septembre La route du Nord




Il est 8h du mat. Mon dernier ferry m’attend à Langdale. De là, je rejoins le nord de Vancouver. Je savoure mes dernières 40 minutes sur le Pacifique. C’est couvert. Il fait froid. Un type me dit qu’il a neigé il y a quelques jours à Edmonton. Je pourrais me retaper Vancouver et sa banlieue, des kilomètres d’intersections et de feux rouges. Je préfère prendre la route du nord, la 99 North qui m’emmène à Squamish en longeant la côte.

Quand Bruce Vuong-Riddick va à Montréal, il passe par les Etats-Unis. Ce n’est pas le seul Canadien à me dire que les routes sont meilleures, l’essence et les motels moins chers de l’autre côté de la frontière.

Je reste au Canada. De toute façon, l’essence est redescendue à 93,9 cents le litre. A Squamish, je suis entourée de pics et de parois rocheuses qui attirent les grimpeurs de la province. A Whistler, la station de ski de BC, ce sont les vététistes qui envahissent les routes. Ça doit être vivant l’hiver et plus joli sous la neige. Mais là, alors que l’automne est tout doucement en train d’éclipser l’été, Whistler me fait penser à la chanson du faussaire de Brassens : un faux village en bois avec des faux gens.

Vendredi 15 septembre Les adieux au Pacifique



Je pars. Aujourd’hui, je quitte Tony et Jery, je quitte même l’île de Vancouver. Jery me prépare un petit-déjeuner avec bacon and eggs, comme si c’était dimanche. Jusqu’ici, elle a reçu des Wwoofers japonaises, des étudiantes venues plutôt apprendre l’anglais. Je suis restée quatre jours seulement, mais je quitte presque de vieux amis.

J’entends presque la sonnerie de l’école : c’est aujourd’hui véritablement que je reviens sur mes pas, que je reprends la route de l’Est. J’ai deux semaines pour rentrer à Montréal. Ça sent la fin des vacances. Je les prolonge un peu en prenant le ferry à Little River, au nord de l’île : sur le continent, j’aurai encore deux traversiers à emprunter avant de rejoindre Vancouver. Je passe par la Sunshine Coast.

Le ferry fait de grandes boucles entre des îles montagneuses couvertes de sapins. Le soleil flirte avec les nuages. C’est déjà la fin d’après-midi. Je suis de l’autre côté. Je suis sur la highway 101, the famous, celle qui longe notamment la côte pacifique américaine entre Los Angeles et San Francisco. Je ne savais pas qu’un bout s’était perdu au Canada. C’est un peu con : je fais la Sunshine Coast de nuit. Il y a de la lumière, un grand néon marqué « Open » sur un building de Madeira Park. La légion royale canadienne fait restaurant dans ce qui ressemble à une grande salle des fêtes. J’ai l’impression de débouler sur la place du village un 14 Juillet : y a plein de vieux qui parlent fort, attablés autour de fish and chips. Le festival de jazz de Pender Bay démarre ce soir. Je me lave les dents dans le lavabo des restooms. Une nana me sort un truc du genre : « t’es prévoyante », sous entendu « tu vas choper ce soir ». « Ton dentiste doit être vraiment être fier de toi ». Je recrache mon dentifrice : je peux quand même pas voyager deux mois sans me laver les dents.