Le Canada d'Est en Ouest

jeudi, août 31, 2006

L'eau et le vin



A Naramata, je découvre un camping et des douches ouvertes comme un moulin. Je prends tout, l’eau claire du lac, l’eau claire de la pomme… de douche. Sur la route de Penticton, il fait chaud. Si je ferme les yeux, je suis en Andalousie. Je m’arrête au Hillside Estate Winery, un des nombreux vignobles de la région. Une grande maison en bois, un resto, une salle de dégustation entourés par des grappes de raisin… Le vin de l’Okanagan a commencé à remplacer la piquette dans les années 80, sous la pression du gouvernement provincial. «Dans les années 70,on a donné de l’argent aux fermiers pour qu’ils arrachent leurs vieux plants et importent des variétés classiques comme le cabernet ou le sauvignon, raconte Barry Storeshaw, qui me sert des lichettes à tire-larigo dans la « tasting-room ». On a fait venir des cépages de l’étranger, de Californie, de France… »

Autant dire que les vignobles de l’Okanagan sont récents. Vingt-cinq ou trente ans d’histoire, c’est peu. C’était impossible avaient prédit les experts du vin. Saison trop courte. De novembre à avril, l’hiver est pourtant clément par rapport au reste du Canada. On peut faire du ski à 40 minutes de là, mais il neige peu dans le fond de la vallée et les températures descendent rarement en dessous de zéro.

Dimanche 27 août, La paie!



C’est le bordel ce matin dans la rue principale de Penticton. Des rues barrées, des bagnoles en pagaille, un Tim Hortons envahi par les sportifs. A 7h, c’est le coup d’envoi d’un triathlon qui s’achève officiellement à minuit. Après trois kilomètres de natation, plus de 150 à vélo et encore plusieures bornes de course à pied. Moi, à 7h, je commence mon dernier bal dans les pommiers. Je l’ai dit à Sylvain hier soir au téléphone : « dimanche, je termine à midi ». Dimanche, j’ai fini à midi. Je suis chez Sylvain dix minutes plus tard. J’ai travaillé 45 heures en cinq jours et demi. Ça devrait faire 450$. Sur le chèque que me tend Sylvain, ça en fait 540$. Je ne sais pas trop s’il me fait une fleur (après tout, le fortune-cookie avait prédit que mes talents seraient reconnus ?). Mais, à la réflexion je crois bien qu’il est fâché avec les chiffres.

"A l'aise Blaise"


Je découvre un autre paradis bleu, la plage de Naramata. C’est plus calme et moins pratiqué par les adeptes du jet-ski, ski nautique et parachute. Le week-end, la douche de Penticton est fermée. On doit être trois sur le sable de Naramata. J’ose sortir mon bout de savon dans le lac, avant de me retaper un Happy Salmon au Tea House de Penticton. Je commence à avoir mes habitudes. J’y retrouve, par hasard, Jacqueline qui a commandé elle aussi son plat favori. Jacqueline appelle Françoise, une Bretonne de Quimper qui a immigré au Canada il y a quelques années et vit à Penticton. Mais Françoise est occupée. « A l’aise Blaise », c’est l’expression que Jacqueline a apprise de Françoise.

Samedi 26 août



A 6h, il y a déjà pas mal de monde chez Tim Hortons. Des papys qui découpent les coupons de supermarché, des routards, des sportifs… Combien gagnent les employés sous leurs casquettes commerciales ? Peut-être moins que moi dans les vergers. Je préfère mon paradis vert, même avec ses bleus, ses bosses et ses égratignures. Et puis, j’ai de la visite : une famille de cervidés me passe sous le nez. Ils ne sont pas très farouches : j’ai le temps de descendre de mon échelle et de récupérer mon appareil photo.

Vendredi 25 août



C’est torride. Je dirais au moins 30°C sous les pommiers. J’ai un nouveau défi : repasser derrière l’éclaircisseur guinéen qui a fait pas mal de rangées il y a une semaine. « Il était tout petit », me dit Sylvain. Haut comme trois pommes, donc pas assez haut pour les choper. Je commence à prendre le plis, même à apprécier le dérouillage musculaire et le vide du métier. Mais quand même, je me fais un peu chier toute seule dans mon verger.

Alors, forcément, ça me fait un choc de voir autant de monde sur le parking de la piscine. Ils sont des centaines à faire la queue pour le repas du Convention center. Le repas de l’Ironman, l’homme de fer. Pas celui en fauteuil roulant de la série télé. Celui des athlètes. Car dimanche, c’est le triathlon de Penticton.

Je dépasse le troupeau de sportifs pour aller à la douche. Mais j’ai oublié mon short dans la voiture, je repasse une demi-heure plus tard, ma serviette autour de la taille. La classe totale. Un type me demande si je fais le triathlon. Je fais les pommes, c’est pire.

En ville, c’est la fiesta : musique, pop-corn et cornets de glace. Je trouve un abri dans le Tea House de Main street, avale un saumon au soja sur les conseils de Jacqueline, ma conseillère Anpe. Sur le menu, ça s’appelle Happy Salmon. Il y a de la musique orientale, un canapé. Le bonheur.

Jeudi 24 août


J’ai été trop clémente avec les petites pommes, me dit Sylvain. On ne naît pas éclaircisseuse, on le devient. Je repars à fond dans mon opération d’eugénisme de la pomme red. Je termine mon carré. Sur le chemin du retour, je croise des cyclistes et des joggers. La région de l’Okanagan est le coin sportif du Canada, un peu comme le Québec est son coin fumeur. Je ne vois presque plus d’obèses, ils doivent être restés à la frontière de l’empire sanitaire. Ici presque tout le monde sculpte son corps, court, nage, pédale. Dans les rues, on exhibe ses muscles et son ventre plat et bronzé.

Moi, je fais mes courses au Safeway. L’hypermarché ouvert jusqu’à minuit où je peux me laver les dents.

Mercredi 23 août

La même chose qu’hier. Je repars vers Penticton dans l’après-midi, la musique à fond dans la voiture, les vitres grandes ouvertes. Ma musique, mes CD, c’est pratiquement les seuls trucs familiers que j’ai emmenés avec moi. C’est ma madeleine de Proust. Le soir, j’ai la flemme de repartir à Naramata. Je reste dormir sur le parking du Convention center, le centre des congrès de Penticton. Je dors comme un bébé, c’est l’avantage de grimper dans les pommiers toute la journée.

vendredi, août 25, 2006

La Bohème



Je me fixe huit heures de boulot par jour, une pause d'une demi-heure le midi. A 16h, je cours à ma voiture, plonge dans le lac à Penticton et termine mon triathlon à la douche communautaire.

Le soir, je retrouve mon camping de Naramata, ses trois pauvres trailers posés dans l’herbe sèche. Le tableau me fait penser aux photos de Dorothea Lange, les victimes de la crise des années 30 aux Etats-Unis en moins. Je me prends en photo, mais je n’ai vraiment pas la tête de Migrant Mother, le portrait le plus célèbre de la photographe américaine. C'est vrai que ma "misère", je l'ai choisie.


Mon verger de Naramata


Le plus chiant dans ce boulot, c’est de déplacer l’échelle. Le plus beau, c’est d’être en haut de l’échelle pour contempler la vallée. Mais je passe plus de temps à faire le premier que le deuxième. Ça griffe, ça donne des bleus. C’est du travail manuel. Je ne fais pas le Grand bond en avant maoïste, je fais un bond en arrière dans les pommiers de Belligné il y a huit ans. C’était plus marrant, parce que je bossais avec des gens. Et après, j’allais boire un pastis avec Bernard. Ici, je suis seule à travailler. Au bout de cinq minutes, je ne pense plus à rien. Au bout de cinq heures, je suis crade. Je me dis que c’est la fin de mon tee-shirt « Air France Cargo ».

Je descends « en ville » pour le lunch. Un resto chinois me donne un deuxième fortune-cookie : « your talents will soon be recognized ». Vais-je progresser dans l’amaigrissement des pommes au point de me faire des ovaires en or?

Mardi 22 août , ma vie d'ouvrière agricole



A 7h je suis ready. Sylvain me conduit jusqu’aux pommiers, à cinq minutes de mon camping de luxe. C’est parti pour le thinning, du nom thin, qui veut dire mince. C’est mon job : amincir les pommier. En français de France, ça doit être éclaircissage. Les pommes finalement, c’est comme les gens. Personne ne veut des trop petites, des cabossées, des mal foutues… Alors, on les balance par terre. Elles ont le même goût que les autres, mais leur problème, c’est qu’elles n’ont pas l’air de leur goût. J’applique le règlement. Je prends, je jette.

Les vergers de l'Okanagan


Le gros du travail est maintenant un peu plus au Nord, à Kelowna. A une heure de route. C’est là d’où je viens. Les récoltes démarrent dans le Sud, où il fait plus chaud, et remontent progressivement vers le nord de la vallée. Il n’empêche qu’au deuxième coup de fil, je trouve un job à Naramata, à 7 kilomètres de Penticton. Chez Sylvain, un Québécois installé là depuis vingt-cinq ans. Tous ses ceuilleurs de cerises ont décampé vers Kelowna. Aucun n’est resté pour l’éclaircissage des pommes. Car ça paye moins bien que la cueillette des cerises. Dix dollars de l’heure, c’est le tarif. C’est plus que le salaire minimim provincial fixé à 8$ l’heure. Et ce n’est pas déclaré. Quand je demande à Sylvain s’il veut voir ma carte d’assurance sociale (équivalent d’un permis de travail ici), il se marre. Il s’ent tape comme de l’an quarante. Je prends.

Sylvain a des trailers où les saisonniers peuvent dormir. Le mot approprié est, je crois, rudimentaire. Il faut descendre une route étroite et pentue. Là, on est arrêté net par des chiottes en kit et un tas de planches de bois qui dégringolent. Le campement est juste derrière. Des toits de pick-up datant de Sitting Bull. A l’époque, les gens étaient nains. J’imagine même pas dormir sur la banquette étroite et, de toute façon, trop courte. Le seul luxe, c’est le gaz. Mais il n’y a une absente de poids : l’eau. Je me sens comme une journalière agricole dans un roman de Steinbeck.

Il commence à faire nuit. Sylvain passe me prendre demain à 7h. Je monte ma tente sous un cerisier. Mais je ne dors pas. Dehors, c’est un bordel monstre. Les insectes et les coyotes doivent fêter un truc. J’entends tout. Je préfèrerais le bruit familier des voitures

Lundi 21 août, le lac Okanagan


6h. Tim Hortons a déjà ouvert son bistro, il me sert un café et un bagel with cream cheese. Il fait chaud. A 8h, j’ai déjà le débardeur et les lunettes de soleil. Il est trop tôt à Kelowna pour avoir des infos sur les petits boulots de la région. Je file, longeant toujours le lac Okanagan.

A Penticton, le Visitor center offre les appels locaux et le wi-fi. Je pique une tête dans le lac, fait une sieste sur la plage. Ça fait une éternité que je ne me suis pas posée quelque part sans rien faire. Je prends une douche à 2$ au centre communautaire. Des douches collectives où je suis seule. C'est hyper propre, comme la plupart des sanitaires au Canada. Au centre francophone de services à l'emploi de l’Okanagan, Jacqueline trouve que j’ai l’accent breton (?).

Je suis à l'ANPE locale francophone. Jacqueline me donne un tas de documents sur le travail saisonnier dans les vergers. Un petit livret me fournit même la totale : comment se servir d’une échelle, le salaire moyen dans les vergers, où aller se doucher et laver son linge, à qui s’adresser en cas de harcèlement sexuel. Selon un projet de recherche mené par le Penticton Women Centre en 1999, 37% des travailleuses agricoles itinérantes interviewées avaient été harcelées ou agressées sexuellement par leur employeur.

Revelstoke au crépuscule


20h30. Rester ou partir ? L’éternel dilemme. Je me sens encore toute fraîche (pour une fois). Je m’avance vers la vallée de l’Okanagan, direction sud ouest, toujours sur la Transcanadienne. Je quitte Revelstoke au crépuscule, je quitte les Rocheuses à la sauvette. Mais je serpente encore longtemps dans les montagnes, traversant des vallées encaissées éclairées par le soleil couchant. C’est magnifique, mais j’ai épuisé tout mon vocabulaire extatique. Et j’ai des pick-up au cul qui m’empêchent de m’arrêter. Je file sur une route qui s’élargit, mais s’assombrit aussi de plus en plus. Du lac Shuswap , je ne vois presque rien, que le reflet des lumières de la ville dans l’eau noire. Je passe des néons agressifs. La conduite devient franchement galère.

Il est 22h30 quand j’arrive à Vernon. C’est déjà le lac Okanagan, le nord de la vallée. Une vallée un peu à part en Colombie-Britannique, où il fait chaud et sec. Ici, il y a du soleil, des lacs et des vergers. Des milliers de pommiers, de cerisiers, de pêchers et des vignes qui grimpent sur les collines. Je suis dans le bassin méditerranéen du Canada.

Au fond coule une rivière


Je suis en manque : le manque de marche. Mais c’est en voiture que je fais la promenade des prés dans le ciel. Vingt-cinq kilomètres de route en lacets pour arriver presqu’au sommet du mont Revelstoke. Et un kilomètre à pied. Je ne suis pas encore habituée à ce soleil qui se couche plus vite en Colombie-Britannique. A 18h30, il met son pyjama et se brosse les dents pour aller se coucher. Mais c’est là qu’il est le plus beau. Tout est pâle, bleu pâle, rose pâle un peu aussi. On dirait un tableau de Turner. Entre les sapins clairsemés et les fleurs sauvages, des sentiers partent dans toutes les directions, offrant des vues spectaculaires sur les montagnes et les glaciers environnants (encore !). Au fond coule une rivière, la Columbia qui descend vers le Sud et se jette plus loin dans le Pacifique aux Etats-Unis. Je suis seule avec un couple d’Allemands à profiter du paysage.

Dimanche 20 août



Je me réveille dans une bulle bleue et rouge, les couleurs de ma tente. J’ai des pancakes au sirop d’érable et du café à volonté pour la modeste somme de 5$ au camping KOA. Ça me donne l’occasion de discuter avec Lise et Jacques, deux cyclistes de Montréal qui font la route Calgary-Vancouver. On papotte, on papotte et on s’aperçoit que le monde n’est pas si grand : ils habitent une rue derrière mon frère.
Je passe la matinée et le début d’après-midi scotchée sur mon ordinateur, sans manger. Je suis claquée comme après une rando. A 16h, je m’offre mon premier repas gastronomique depuis deux mois au Woolsey Creek, un petit resto de Revelstoke : du saumon sur un lit de carottes et de pommes de terre au miel.

L'oasis KOA


Je m’aperçois que je n’ai pas pris de photos de gens depuis que j’ai pénétré les Rocheuses. Les montagnes sont plus faciles à photographier : elles ne bougent pas et s’imposent naturellement à moi.

La fatigue me donne un coup de latte. Ce n’est pas la première fois : les après-midis sont toujours difficiles quand on se lève tôt. Surtout qu’ils se prolongent sans cesse sur la route de l’Ouest. Je m’arrête à Revelstoke, à l’oasis KOA. Un camping dans la forêt avec piscine, wi-fi et petit-déj. Je plonge. Je ressors ma tente encore mouillée par l’orage de Saint-Isidore-de-Bellevue. J’ai l’impression que ça fait des siècles. Mais ça fait même pas trois semaines.

27°C, c’est la température aujourd’hui. C’est aussi celle prévue demain. J’espère que le ciel me sera plus clément cette fois.

Une forêt de cèdres géants



Yoho, Glaciers, Mont-Revelstoke…. En quelques heures, je pénètre dans trois parcs nationaux. Et découvre encore un autre trésor. Une forêt de cèdres géants qui s’est formée grâce à l’air humide en provenance de l’océan Pacifique. Les pluies se heurtent là au mur de la chaîne Columbia : c’est le seul endroit au monde où une forêt pluviale tempérée se trouve si loin du littoral. Une jungle vert pétant qui laisse filtrer des puits de lumière. Des cèdres de plusieurs centaines d’années me dominent. Même morts, ils sont gigantesques.

jeudi, août 24, 2006

Le col Rogers


Je franchis des cols tortueux, des rivières tumultueuses, des couloirs d’avalanches dévastatrices. J’entre dans un nouveau parc : le parc national des glaciers. C’est là que je gagne encore une heure. La dernière fois du voyage que je retarderai ma monte. La pente est à 8%, les camions peinent. C’est le col Rogers. Les pics et les pentes abruptes de la chaîne Selkirk, habitués à déverser des mètres cubes de neige l’hiver, y compris sur la Transcanadienne. C’est là, en 1962, que les derniers morceaux du puzzle de la Transcanadienne ont été posés.

Des fleurs, un canöe



Je croise un train de marchandises un peu plus bas dans la vallée. Pour une fois, les camions tirent la langue. Je les dépasse. Je tourne, je prends la petite route qui mène au lac Emerald. Il est quoi ? 9h30 heure de l’Alberta. 8h30 heure de Colombie-Britannique. Je ne sais pas trop. Il n’est pas trop tard en tout cas pour voir un champ de fleurs sauvages dévaler la montagne, ou le premier canoë filer sur l’eau claire d'Emerald Lake. Dans ma voiture, ça sent la piscine. Ma serviette et mon maillot de bain sèchent depuis hier soir sur des ceintres accrochés aux fenêtres. Il ne me manque plus qu’un CD des Gipsy Kings.

Samedi 19 août, le col Kicking Horse



J’avale un café au McDo (je ne vois que ça d’ouvert à 7h du mat), fais le plein d’essence, vérifie l’huile, les pneus. Je retrouve ma feuille verte, ma transcanadienne. A 8h30, je mets mes premières roues en Colombie-Britannique en même temps que j’entre dans le parc national de Yoho. « C’est un ailleurs, c’est une chambre avec vue », chante Henri Salvador. C’est un ailleurs, mais c’est toujours les Rocheuses. Le col Kicking Horse, 1643 mètres, le point le plus haut de la Transcanadienne qui sépare deux provinces et partage les eaux s’écoulant vers l’Atlantique et la Pacifique.
Je roule sur une ancienne voie ferrée. Ça ne se voit pas, mais c’est là que passaient les premiers trains en 1884. Sur la Grande Pente, 4,5% de dénivelé. Le premier train a terminé dans la rivière Beaver, à des centaines de mètres plus bas. Pendant 25 ans, les suivants ont galéré, autant pour monter le col que pour le redescendre. En hiver, les avalanches rendaient le périple encore plus hasardeux. En 1909, c’est à coups de dynamite que le Canadien Pacifique creuse un tunnel dans la montagne : des lacets qui rallongent la route, coupent aujourd’hui la pente en deux.

Les eaux thermales aujourd'hui


Aujourd’hui, on ne se baigne plus dans la station thermale. A cause notamment d’un petit escargot vivant dans l’eau chaude, menacé par le contact humain.

C’est un pleu plus haut, dans la piscine des Upper Hot Springs, qu’on peut goûter aux eaux thermales. 39°C, c’est marqué sur le panneau. J’y vais au soleil couchant. Détente garantie avant de trouver un coin pour dormir. Je suis toute chaude, mais je me sens comme un squatteur à la recherche d’une barraque facile à forcer pour passer la nuit. Banff n’est pas Lake Louise : ce n’est pas très difficile de trouver une rue et des places de stationnement à l’abri du bruit et des regards.

Les Rocheuses, une "découverte" du Canadien Pacifique


Le Canadian Pacific Railway fait le reste. La compagnie de chemin de fer, qui vient de poser ses rails à travers le pays, a besoin de voyageurs pour remplir ses caisses. Les Rocheuses vont être aux nantis de l’époque ce que le miel est aux abeilles. « Puisque nous ne pouvons exporter les paysages, nous allons importer les touristes », dit William C.Horne, le directeur de construction de la Canadian Pacific Railway de l’époque. Des grandes affiches publicitaires font la promo des montagnes, vantent l’accès à la nature sauvage, mais tout ça dans le grand confort d’un train et d’un hôtel de luxe. On n’est pas encore dans l’ère de l’automobile qui rendra accessible les Rocheuses au plus grand nombre.

Cave and Basin, la fortune de Banff


L’eau chaude, elle, se trouve dans Banff. Des eaux chaudes qui s’écoulent du mont Sulphur dans le site de Cave and Basin. C’est grâce à ces eaux thermales sulfureuses qu’est né le premier parc national du Canada. Les vertus curatives des sources thermales sont connues des Indiens depuis longtemps. Trois cheminots qui construisent le chemin de fer « découvrent » le site en 1883 et voient là une occasion de se faire des couilles en or. Ils construisent un hôtel, commencent à attirer les touristes… Mais une dispute sur les droits de propriété amène le gouvernement canadien à suivre les exemples de la reserve des sources thermales Arkansas et de Yellowstone aux Etats-Unis : il se débarrasse de toutes les concessions privées pour créer, en 1885, une réserve de 26 kilomètres carrés autour des sources Cave and Basin.

La plage Johnson


Le ciel est tout bleu. Ça sent les pins. J’ai l’impression d’être au bord de la mer. Je ne suis pas la seule : Jonhson n’est pas un lac comme c’est marqué sur la carte, c’est une plage !

Vendredi 18 août, la boucle Minnewanka




Ça fait exactement un mois que j’ai quitté Montréal. J’ai parcouru environ 6.000 kilomètres. Cette nuit, j’ai dormi, mais je me sens presqu’encore plus naze qu’hier. Je passe ma matinée à faire l’autiste dans le salon de l’AJ, mon ordinateur sur les genoux. C’est l’avantage de la civilisation : on trouve le Wi-Fi. Je décolle tard et me retrouve avec des gens sur la boucle du lac Minnewanka. Même les chèvres de montagnes sont de sortie : elles broutent un parking sous le regard des touristes.

vendredi, août 18, 2006

En suivant la Bow Valley Parkway



Il n’est même pas 8h quand je reprends la route de Banff. Pas la Transcanadienne, mais la première highway des Rocheuses qui longe la rivière Bow. Une petite route sinueuse au milieu des sapins. C’est beau. J’en profite pour faire une halte au canyon Johnston. Les chutes sont à environ deux kilomètres à pied.

Une Américaine me propose d’accompagner son groupe, à cause des ours. Deux couples, trois ados, tous de Saint-Paul, Minnesota. Je me rencarde sur le Mississipi qui passe chez eux : pour un voyage à La Nouvelle-Orléans, on me conseille de voir un bateau, le Delta Queen… Les Braks me laissent leur business card et leur email. Au cas où je vienne chez eux. C’est l’avantage de voyager seule : on repart toujours avec des adresses.

Jeudi 17 août Petite nuit,grande aube




2h30 du matin. Un train de marchandises me frôle. Une voix derrière une lampe électrique m’achève en me disant « illegal camping ». C’est le type de l’auberge de jeunesse. Je découvre en même temps des compagnons de voyage aussi cheap que moi : deux autres personnes dorment illégalement dans leur voiture sur le parking de l’AJ. Dans le froid, je décampe vers le parking du centre commercial qui, je crois bien, est aussi interdit. Là, les resquilleurs sont plus nombreux. Petite nuit. Je sors de mon coffre à 6h30, sous un ciel qui s’annonce limpide. J’avale un café à toute vitesse. Je ne résiste pas à un autre lever de soleil sur le Lac Louise.

Repos à l'auberge de jeunesse


Il va faire 1°C cette nuit. Je passe l’après-midi dans le salon et sur la terrasse de l’auberge de jeunesse. J’apprends dans le Calgary Herald qu’un cessez-le-feu est intervenu lundi entre Israël et le Hezbollah au Liban. Depuis que j’ai atteint les Rocheuses, je suis dans une bulle, je vis dans le triangle des Bermudes de l’information.

Le lac Moraine, aussi beau, plus sauvage




De toute façon, le paysage me suffit. Du haut d’un amas de roche, je plonge le regard dans l’eau turquoise du lac Moraine. Je me sens comme Napoléon perché sur une pyramide égyptienne. Sauf que moi, je contemple 150 millions d’histoire géologique. Combien de cartouches Waterman bleue turquoise on peut remplir avec ça ?

Je fais le tour du lac avec les petits joueurs. C’est moins cher que le tour en canoë : 35$ l’heure. C’est même 38$ au Lake Louise. A ce tarif là, en plus, il faut ramer !

Mercredi 16 août Attention au grizzli!



J’ai mes habitudes. Je retourne à la boulangerie Laggan’s. Les odeurs de café et de bagels y ont même attiré un grizzli il y a quelques années. « Il a dû avoir aussi peur que les clients », me lance une des gardes du Parc. L’ours est plus craintif qu’agressif. En général. Mais il ne faut pas le tenter. En pleine ville comme en montagne, toutes les poubelles sont en fer, fermées selon un système de levier que seul l’être humain, ou le singe, peut décrypter.

Un ours, j’en vois un à 7h du matin, sur le bord de la route qui mène au lac Moraine. Une chose noire qui ne me semble pas très grande à environ deux cent mètres de mon pare-brise. Je recule. Parce que le café n’a pas suffi à m’ouvrir les yeux ni la tête : mon appareil photo est dans le coffre. Quand je reviens, tout doucement, l’ours bouffe des baies, un peu plus loin dans les fourrés. Je laisse tomber la photo. « Un grizzli ou un ours noir ? », me demande la ranger quand je fais mon rapport au centre d’information. Ben, je ne sais pas. Il est petit. Un bébé ours ? La ranger marque « unknown » dans la case descriptive, note aussi le lieu et l’heure de la rencontre. Je laisse mon adresse email.

Des grizzlis, j’en évite plein. Tous les sentiers de randonnée qui partent du lac Moraine sont barrés de grands panneaux : interdit de partir à moins de six personnes sous peine d’une amende de 2.000$. Je ne sais quelle est le pire pour le pirate de la rando : la rencontre avec un ours ou avec un ranger ? Tous les randonneurs partent pour des balades d’une dizaine de kilomètres. Vu mon état physique, autant me tirer une balle dans le genou. Je renonce.

Le lac Agnès attire la foule sur les sentiers



J’y monte seule à 8h30 du matin, suivie au loin par un couple. J’ai deux pierres dans les mains pour manifester ma présence. « C’est un des endroits en Amérique du Nord où cohabitent le plus les ours et les humains », dit un panneau. Des femelles grizzlis s’y baladent notamment. Mais tout est calme. Sur le chemin, je ne vois qu’un écureuil. Quand je redescends deux heures plus tard, je n’ai plus besoin de mes cailloux. Je crois l’inventaire à la Prévert : des sportifs, tête baissée, qui marchent au pas cadencé, un baton dans chaque main, concentrés ; des citadines vêtues de fringues et lunettes de soleil top tendance qui papottent en chemin, des instits qui donnent des leçons de géologie à leurs rejetons, des feignants qui montent à cheval, des gros qui suent… Il est presque midi. En bas, ça bouchonne.

« L’alpinisme est un sport d’intellectuels nécessitant une certaine mesure d’imagination poétique », a dit Wheeler, co-fondateur du Club alpin du Canada. Arpenteur géomètre, il a été le premier à dresser un relevé topographique précis des Rocheuses en 1913. Un siècle plus tard, la poésie est toujours là. Mais à certaines heures seulement.

Je mange un « bison burger » chez Bill Peyto au rez-de-chaussée et m’affale sur le canapé de l’auberge de jeunesse au premier étage. Un vrai moulin, spatieux et confortable, considéré comme l’un des meilleurs établissements du genre. Je n’ose quand même pas y prendre ma douche.


Mardi 15 août Un tourisme centenaire



C’est l’aube. Je prends un café à la boulangerie du village. Elle ouvre à 6h du matin et annonce la couleur : le café est marqué à la craie comme un « eye opener ». 7h. Trois photographes attendent la dispersion des nuages au bord du lac. Le parking est vide. Je me pose, j’attends. Comme plein de gens avant moi. Lake Louise et le tourisme de randonnée et d’escalade, ça dure depuis plus de cent ans. En 1899, le train Canadien Pacifique embauche même des guides de montagne suisses pour amener les clients de l’hôtel en expédition. Depuis, le petit chalet s’est transformé en château. Mais il a gardé des Suisses à l’entrée, comme pour conserver une ambiance Alpes européennes. Ça continue plus haut, avec la maison de thé perchée en haut du lac Agnés, à 3,5 kilomètres de grimpette, qui fonctionne depuis 1905. A l’époque, les employés balayaient même le sentier.

Lake Louise, un faux village, un vrai bijou


Lake Louise est un faux village entre Jasper et Banff. Presque personne n’y habite. Lake Louise n’existe que par et pour le tourisme. ça se voit aux prix de l’essence, du café ou des cartes postales qui font encore un bond après Jasper.

Mais Lake Louise, c’est beau comme une carte postale retouchée. A quatre kilomètres en haut du faux village, le vrai lac émeraude qui s’étend devant l’hôtel Fairmont est LE joyaux des Rockies. Les rocs et les sapins qui gardent le glacier Victoria se regardent le nombril dans le mirroir. Le passage obligé, ultra-bondé, archi-photographié. A éviter entre la fin de matinée et la fin d’après-midi. Avant ou après, quand la lumière est la plus belle, il y a bizarrement moins de monde.

Je me lave les dents dans un station-service et squatte le parking de l’auberge de jeunesse, entre des sapins et la voie ferrée. Mais j’ai la mauvaise idée de me garer pour la nuit sous un lampadaire.

La fatigue après les glaciers



La route des glaciers est magnifique. Mais je suis crevée, j’ai les mollets qui tirent, conséquence de la rando du mont Wistlers. Sur les onze campings du parc national de Jasper, seuls deux, proches de la ville, ont des douches. Je dors, mange, vit avec le même jean depuis trois jours. Je rêve moins d’eau que d’un savon. J’en aurai au camping de Lake Louise. J’en ai même gratuitement. Je ne demande rien, je ne sais pas si je suis une clandestine de la douche. Mais je réalise qu’il y a des trucs essentiels comme manger, dormir, ou se laver dont j’avais oublié l’importance. Autour des tentes, des une clôture électrifiée protège les campeurs des ours. A moins que ce ne soient les ours des campeurs.

Le glacier Athabasca



Le glacier Athabasca fond lentement : il s’est retiré d’1,5 kilomètre depuis 1849. Des plots marquent un périmètre de sécurité au-delà duquel il n’est pas conseillé de s’aventurer seul. Un gamin est mort d’hypothermie il y a cinq ans après être tombé dans une crevasse. Tout le monde monte avec confiance, tout le monde redescend avec de multiples précautions. Le soleil tape, mais le vent est glacial.

Le champ de glace Columbia


Le soleil est haut dans le ciel quand j’arrive à la porte du champ de glace Columbia. Je suis éblouie par la calotte glaciaire de l’Athabasca, devant moi, à 3491 mètres d’altitude. Pourtant, je ne vois qu’un petit bout des 325 kilomètres carrés d’un champ de glace qui s’étire entre Jasper et Lake Louise, sur plus de deux cents kilomètres. La route 93 a été surnommée « icefield parkway », « la promenade des glaciers » qui traverse une région de lacs, de forêts et de crêtes acérées autour desquelles coulent des langues de glace. L’eau de fonte de ces glaciers irrigue les cultures, fournit électricité et eau potable à des millions de Canadiens, de Vancouver à Montréal, en passant par Chuchill. Car le champ de glace Columbia recouvre une triple ligne de partage des eaux : il coule vers l’océan Pacifique à l’Ouest, vers l’Atlantique à l’Est, et vers l’Arctique au Nord.

Il abreuve aussi les milliers de touristes qui s’arrêtent au centre d’information du glacier Athabasca. J’ai l’impression d’être dans un supermarché un samedi après-midi. Je vérifie un lieu commun : les Japonais sont prêts à se faire photographier n’importe où, devant la maquette du champ de glace ou une paire de vieux skis accrochés au mur.

Les chutes Athabasca



L’Athabasca est partout : c’est un lac, une rivière, un glacier, un col… Et une chute impressionnante à 30 kilomètres au sud de Jasper. Le plus gros débit des Rocheuses. Après les rivières Athabasca et Whirlpool, c’est à pied ou à cheval qu’il fallait continuer le chemin. Une eau turquoise se précipite dans un canyon étroit, dans un bruit assourdissant. Il est 10h du matin, le début du débit des touristes dans les Rocheuses. Il faut jouer des coudes pour se faire une place près de la rembarde, au-dessus des chutes d’eau.

Je vois mon premier grizzli sur le tee-shirt d’un touriste.

La rivière Athabasca



Je quitte la route 16 à Jasper. Mais je roule vers l’autre Transacandienne, la route 1, la route du Sud. Je tombe sur un autre nœud du commerce des fourrures. Le portage Athabasca par lequel les trappeurs et commerçants franchissaient les Rocheuses pour rejoindre le Pacifique. David Thomson, un géographe mandaté par la Compagnie montréalaise du Nord-Ouest – rivale de celle de la Baie d’Hudson – trace la route au tournant des années 1810 et 1811.