Le Canada d'Est en Ouest

dimanche, octobre 01, 2006

Montréal, c'est toi ma ville






Je franchis le pont de l’île-aux-Tourtes. Je suis sur l’île de Montréal. Et Stevie Wonder chante pour la troisième fois « I’ll be loving you always »… Il est 18h, je suis coincée dans les bouchons aériens de l’autoroute 40. Je suis cernée par les gaz carboniques, mais c’est presqu’aussi bon que d’arriver au sommet du mont Whistlers.

Je retrouve les excès de vitesse, les queues de poisson, quelques klaxons, les trucs qui m’énervent habituellement. Mais aujourd’hui, c’est différent. Parce que je suis presqu’à la maison. Après deux mois et demi et 13.160 kilomètres de vagabondage plus ou moins organisé à travers le Canada. J’ai presqu’envie de copier le slogan qui s’affichait ici partout il y a dix ans : Montréal, c’est toi ma ville.

Je me souviens...







Montréal, 180 kilomètres, dit le panneau au-dessus de moi. J’ai envie d’appuyer sur le champignon. Je sens l’écurie, toute proche. Je vois d’autres chevaux, de plus en plus nombreux, qui portent la même devise que moi, « je me souviens ». Je ne me souviens d’ailleurs plus vraiment de quoi je suis censée me souvenir. Mais ça m’étonnerait que ce soit ce à quoi je pense juste maintenant : aux amis et aux bistros.

La 17 Est, bientôt derrière moi



Je fais une pause, plus loin, au pied d’un panneau de la Transcanadienne 17 Est. Je me prends en photo. Après tout, je ne la reverrais bientôt plus.
La 17 devient la 417, se dédouble à l’approche d’Ottawa. Je roule sur le périph de la capitale, dans la purée que m’envoient les automobilistes qui me précèdent. Au milieu d’un brouillard de flotte, entre les balais d’essuie-glace, des points rouges changent de voie devant moi. Mais dans ma bagnole, j’ai un micro-climat. Y a du soleil et une nana. Le soleil c’est Stevie Wonder. La nana, c’est moi. Si je pouvais conduire debout, ma Ford Focus serait un dance-floor.

Les adieux à Tim Hortons


C’est le moment des adieux. Et j’allais oublier Tim Hortons, mon compagnon de route. J’aurais dû lui demander de sponsorier mon voyage. Je lui dis au revoir à Pembroke, devant un sandwich au poulet et les nouvelles d'Ottawa Citizen. Bon, c’est quand même pas la peine de sortir les mouchoirs.

Je roule dans un tableau



J’ai l’impression de rouler dans un tableau du Groupe des sept. Dans mon paysage, j’ai juste un élément en plus : du bitume séparé par une ligne jaune.

A Radio-Canada, on parle du onzième sommet de la francophonie qui s'ouvre à Bucarest. Je suis encore dans l’Ontario. Et l’Ontario, qui n’a pour l’instant qu’un siège d’observateur, aimerait bien siéger de plein droit dans cette instance. Au même titre que les Québécois.

Jeudi 28 septembre Ma dernière nuit...



C’est mon dernier jour. C’était ma dernière nuit dans la voiture, mon dernier réveil au fond d’un coffre de Ford Focus. Je dois absolument marquer l’événement.

Devant, le niveau d’huile est drôlement descendu. Quand je me penche au-dessus du moteur, ça n’a ni la couleur, ni l’odeur du cognac. Mais ça doit être la part de l’ange automobile. Je mets de l’huile pour que ça glisse jusqu’à Montréal. Je mets de l’huile pour pas tomber en rade au milieu des grands espaces canadiens.

The autumn leaves drift by my window...





Ce matin, le ciel fait une pause. Les flaques sèchent. Ma dernière ligne droite sur le côté est du Lac Supérieur se fait presque sans essuie-glace. Je peux enfin apprécier la mer d’arbres jaune, orange et rouge qui m’entoure. Les feuilles mortes ne se ramassent pas encore à la pelle sur le bord de la Transcanadienne. Je glisse Dee Dee Bridgewater dans mon radio-cd. Juste pour me passer en boucle le piano et the autumn leaves red and gold. Je n’arrête pas de m’arrêter. Sur la plage de Old woman’s bay, le lac fait des vagues.

Il y a deux mois, je m’y étais baignée. Aujourd’hui, il me faudrait une combinaison d’homme-grenouille pour y plonger. Je choisis plutôt la douche dans un camping. Deux dollars, prix imbattable, imbattu en tout cas depuis le début de mon voyage.

Je déjeune dans ma voiture, sous des sceaux d’eau, à Sault-Sainte-Marie. Heureusement, j’ai presque tout dans mon mobil-home. J’y fais une sieste à Thessalon sur les rives du Lac Huron. Il me manque juste un bureau. Mais au Canada, j’en trouve des gratuits dans toutes les villes : ils portent le nom de bibliothèques, sont chauffés, accueillants et offrent un accès gratuit (ou si peu cher) à Internet. En plus, ils ferment tard. Je ressors de celle de Sudbury à 21h, reposée. Je fais encore une heure de route pour dormir à Sturgeon Falls.

Mercredi 27 septembre Les sympathiques Routiers



Les Routiers sont sympas. C’est ce que je me dis dans le Family restaurant de Wawa qui borde la route 17 Sud. Les Routiers servent des petits-déj copieux et pas dispendieux. Et parlent même français. La dame me dit « bienvenue », moins pour m’accueillir que pour dire « de rien » quand je la remercie de poser une assiette gargantuesque d’œufs-saucisses-frites sur la table. Bienvenue, c’est la traduction littérale du you’re welcome utilisé par les Anglais. Un de ces anglicismes qui transpirent dans le français canadien et réussissent encore à me surprendre.

Sous la pluie, entre la 11 et la 17


Je quitte Thunder Bay sans y être vraiment entrée. Sous un ciel chargé et une pluie battante. Nipigon, Terrace Bay, Marathon… Je refais le voyage du lac Supérieur sans trop y voir grand-chose. Trop de gris, trop de pluie. Je pourrais prendre la highway 11, un autre choix offert par Transcanada. Mais c’est encore plus paumé que la 17. « Entre la 11 et la 17 », c’est justement une émission sur la radio francophone du Nord de l’Ontario. J’ai droit au jingle de Radio-Canada, à l’annonce des compressions budgétaires du gouvernement Harper. Parmi les victimes, le programme de contestation judiciaire. Un programme qui donne des fonds aux minorités pour faire valoir leurs droits devant les tribunaux… contre des gouvernements qui ne respectent pas la Charte canadienne des droits et des libertés. Les francophones s’en servent notamment pour réclamer l’ouverture d’écoles à travers le Canada.

Il pleut à verse. Je ne peux même pas m’arrêter marcher. Je n’ai rien d’autre à faire que conduire. Mais à 20h, il fait noir. Je m’arrête à Wawa. J’ai fait 596 bornes dans la journée. Je suis claquée. Mais vachement en avance sur le programme concocté par Danielle.

Les tipis en bouleaux des Ojibways


Sur cette partie du territoire vivent les Ojibways. Poisson et riz sauvage font partie de leur régime alimentaire. Ici, il n’y a pas de bisons. Les tipis sont en écorce de bouleaux, solides, faits pour durer, pas pour être trimbalés d’un camp à l’autre. Les Ojibways ont pourtant un autre campement pour l’hiver. Plus au nord, où il fait froid, où les animaux à fourrures sont plus nombreux. Ils ramènent des peaux de castors, de ratons-laveurs, de visons, d’ours qu’ils échangent l’été contre des couvertures en laine, des sceaux ou des aiguilles en fer…

Les peaux du Fort Williams


Retour un siècle en arrière : le business marche particulièrement bien pour la Compagnie du Nord-Ouest : elle envoie plus de peaux en Angleterre que sa rivale plus ancienne. Un succès qui tient surtout aux Canadiens-Français et à leurs liens étroits avec les Indiens. Avec les Indiennes surtout. Les « Anglais » se mélangent beaucoup moins. C’est un trait caractéristique qui sépare les Latins des Anglo-Saxons. Les colons français, espagnols ou portugais se sont mélangés dans les pays qu’ils ont colonisés. Pas les Anglais.

Niagara of the North


« Niagara of the North », c’est ce que je lis sur le panneau. Les chutes Kakabeka sont à deux pas, lieu de légende pour les Indiens Ojibways. A deux pas aussi de Fort Williams, un haut lieu de la traite des fourrures, le quartier général de la Compagnie du Nord-Ouest, la grande rivale de celle de la Baie d’Hudson, fondée à Montréal en 1783.

Le Fort a été reconstruit tout près de Thunder Bay. A une époque, avant 1803, l’étape était même plus loin vers le Sud. A Grand Portage, côté américain. Il a fallu trouver un autre passage quand les jeunes Etats-Unis ont commencé à taxer les marchandises arrivant du voisin canadien. C’est Fort Williams, qui, tous les étés, devient alors le point de rencontre des trappeurs, Indiens ojibways, voyageurs canadiens-français et marchands montréalais. En français, comme en anglais, c’est le "Rendrez-vous", rejoué pour les touristes chaque été à la fin du mois de juin.

Mardi 26 septembre Le soleil se lève sur Can-op



Quand je me réveille, la sation service-restaurant Can-op me dit que j’ai déjà une heure de retard. J’ai franchi le Rubicon hier soir quelque part avant Upsala. Je suis dans le fuseau horaire de Montréal. Entre les pompes à essence et les flaques d’huile, j’ai droit à un superbe et rapide lever de soleil.

Dans les forêts du Nord de l'Ontario





Le Manitoba est derrière moi. J’ai l’Ontario à traverser. La highway 1 devient la highway 17. Je retrouve les lacs, quelques virages, des collines. Une géographie plus efficace pour lutter contre l’endormissement au volant. Les arbres ont sorti leurs manteaux d’automne. C’est beau. Kenora, Dryden… Je viens de sauter l’étape marquée par Danielle. En même temps qu’un temps pourri, la nuit tombe sur la Transcanadienne. Je m’arrête à Upsala. Le prochain village est à 75 bornes, le dernier traversé à 105.

Le problème quand on est en plein cœur de la forêt du Nord de l’Ontario, c'est que les arbres sont plus nombreux que les gens. Dans le noir, je ne sais même pas si Upsala a des rues revêtues de bitume. Je m’endors sur un parking de terre battue, à côté d’un camion. Je m’endors dans le vacarme des gouttes qui tombent à verse sur mon coffre.

Lundi 25 septembre Winnipeg, à mi-chemin sur la Transcanadienne



Je me lève sous un ciel tout bleu, sans nuages. J’ai 2350 kilomètres à faire avant d’arriver à Montréal. A Winnipeg, je suis presque pile à mi-chemin entre Vancouver et Montréal. Le couperet est tombé hier, après que Danielle ait vérifié sur Internet. Les cartes routières, les plans de voyage, c’est son dada. J’ai trois feuilles, un circuit, des étapes pour la nuit. Même une, si je veux, à Ottawa, chez son frère et sa sœur. Danielle est une vraie mère pour moi. Je pars.

Je renaîs à nouveau à Saint-Pierre-Jolys




Il y a un truc qu’Anne-Sophie a du mal à digérer. Le côté catho de l’institution. Les francophones de l’Ouest du Canada n’ont pas pris autant de distances avec l’Eglise catholique que les Québécois. Peut-être parce qu’ils se sentent plus assiégés par les anglophones protestants. Dans les toilettes du collège, il y a un distributeur de préservatifs, et, juste à côté, une affiche : « l’abstinence est encore le meilleur moyen de se préserver des grossesses non désirées. » Anne-Sophie, en bonne laïque française, a fait un bond.

Ça me fait marrer parce qu’une heure plus tard, je suis chez ma bonne Samaritaine de Saint-Pierre-Jolys. Elle est née sur une frontière, Les Rapides-des-Joachims, une petite île sur la rivière des Outaouais, entre le Québec et l’Ontario, côté québécois. Mais Danielle n’est pas catholique. Je ne sais même pas vraiment dans quelle catégorie la ranger. Protestante, mais, après, dans quel tiroir ? Je fais la connaissance de son mari, Ryan. On ouvre la bouteille que je viens d’apporter, on se met à table. Ryan aussi. Dans sa vie, il y a quelqu’un qui compte vachement. Ce n’est pas Danielle. C’est Jésus. Ryan était drogué, il ne l’est plus grâce à Jésus. On dirait un slogan publicitaire. Il fait partie de ces chétiens nord-américains born again, « nés à nouveau »… La première foi n’avait pas marché. Le monde de Danielle et Ryan ressemble à La petite maison dans la prairie.

L'école d'hier à aujourd'hui


Quand Claudette Dumas a commencé à fréquenter les bancs de l’école en 1946, l’enseignement du français devait être limité à une heure par jour dans les écoles publiques du Manitoba. Une heure pour faire de la grammaire, des dictées… « Mais, en fait, on étudiait aussi l’histoire du Canada et l’histoire sainte en français. On nous faisait cacher nos livres quand un inspecteur venait. » Il fallait ruser pour garder la langue.

Faut-il encore ruser aujourd’hui ? Peut-être. Claudette me tire par la manche : « Il y a une autre Française ici. Viens la rencontrer. » Je tombe sur une assistante de français au Collège universitaire de Saint-Boniface, toute surprise de se retrouver dans un milieu francophone hyper militant. Trop militant peut-être pour elle qui fait des études d’anglais. « Ils ont l’impression que si le Québec devient indépendant, ils vont disparaître ». Le Québec, c’est le cordon ombilical ténu qui les rattache à leurs origines linguistiques. Ils veulent le garder.

Il y a pourtant du sang neuf dans la place, notamment une communauté africaine. Des accents très différents résonnent dans la cour du Collège de Saint-Boniface. Mais paradoxalement, ces Francophones aux origines diverses, elle les ressent plutôt comme « fermés » sur eux-mêmes. Peut-être désespérés que beaucoup de leurs enfants parlent anglais entre eux.

Sur les traces de Gabrielle Roy à Saint-Boniface


Dans le livre dont je suis l’héroïne, je ne reviens pas tout à fait sur mes pas. J’en fais d’autres. Comme la maison où est née Gabrielle Roy. Rue Deschambault, une rue et le titre d’un de ses livres. L’écrivaine franco-manitobaine est née à Saint-Boniface en 1909, quand le quartier était une petite ville francophone. Son père, Léon, avait quitté la rive sud de Québec pour s’installer comme cultivateur dans le Manitoba. Un colon parmi beaucoup d’autres, attiré par des terres pas chères. L’agriculture ne lui réussit pas vraiment, ni le commerce. En 1899, il devient inspecteur des colonies pour le compte du gouvernement. Il facilite l’installation de colons québécois, franco-américains, belges, suisses et français, de Russes et de Slaves aussi. Beaucoup de noyaux francophones qui survivent encore aujourd’hui dans l’Ouest du Canada datent de cette période.

Mais Léon Roy, Libéral militant, perd son emploi quand les Conservateurs passent au pouvoir. Gabrielle grandit dans la deuxième décennie du 20e siècle, dans une période de vaches maigres pour la famille Roy. Francophone et au chômage, ce n’est pas vraiment byzance.

« Quand donc ai-je pris conscience pour la première fois que j’étais, dans mon pays, d’une espèce destinée à être traitée en inférieure ? », écrit Gabrielle Roy dans son autobiographie La détresse et l’enchantement. Je plonge dans une autre époque, celle où Gabrielle Roy et sa mère franchissaient le pont Provencher, au-dessus de la rivière Rouge, « laissant derrière (elles leur) petite ville française pour entrer dans Winnipeg, la capitale, qui jamais ne (les) reçut tout à fait autrement qu’en étrangères ».

Winnipeg a avalé Saint-Boniface au début des années 1980. L’ancien quartier « français » est plus mélangé aujourd’hui. « C’est encore francophone, mais on a des tas de restaurants tenus par des anglophones qui ne parlent parfois pas un mot de français », me dit Claudette Dumas, guide bénévole dans la maison natale de l’écrivaine.

samedi, septembre 30, 2006

Dimanche 24 septembre Retour à Winnipeg



Il est 8 heures quand j’émerge de mon coffre. Un taxi vient de déposer trois jeunes devant moi. La fille sort en courant, vomit sur la pelouse les restes de son samedi soir. Good morning Brandon. Je me casse.
« Winnipeg, 16°C, ciel bleu, belle journée d’automne », écrit un touriste français sur le livret des visiteurs de La Fourche. Je suis de retour en terrain connu.

La plate Transcanadienne



Je retrouve les silos à blé, mes cailloux de Petit Poucet sur la très plate Transcanadienne. Sur la deux fois deux-voies, des pick-up filent à toute vitesse, mais d’autres peuvent débouler à deux à l’heure d’un chemin de terre. La route fait des ravages ici : je roule sur des restes de ratons-laveurs écrasés, un renard éclaté, un bout de pneu qui n’a pas résisté au bitume (ça fait moins mal). Tracy Chapman veut une Fast car, a ticket to anywhere. Moi, je sais où je vais. Winnipeg est à 6h30 de route, m'a dit Danielle au téléphone. La bonne Samaritaine qui m’a hébergée lors du voyage aller il y a presque deux mois, m’attend pour l’étape du retour. C’est mon gîte rural trois étoiles de Saint-Pierre-Jolys, un des villages francophones au sud de Winnipeg.

La highway 1 rétrécit, perd sa deux fois deux-voies. Samedi à 17h, un chantier est encore en cours pour élargir la route avant l’arrivée au Manitoba. La Transcanadienne est un chantier perpétuel. A 18h, je franchis la frontière manitobaine. En même pas une seconde, il est 19h. Je continue jusqu’à Brandon. C’est un samedi soir sur la terre. Entre les stations Esso et Husky, Tim Hortons fait le plein de clients.

Si loin, si proche du wild wild West



J’en suis encore très loin dans le Palais législatif du Saskatchewan. Un autre spot classieux de Regina, dans le parc Wascana. Comme à Edmonton, c’est là que les mariés sont pris en photo. Je suppose que c’est mieux que devant un Tim Hortons.

Dans les salons de la haute société de Regina



Regina est fière de ses vieux bâtiments. Il y en a quelques-uns dans le centre-ville. Dans un pays à l’histoire aussi récente, tout ce qui remonte avant le 20e siècle est chéri comme le trésor d’un passé lointain. Le Government House par exemple, la maison du lieutenant-gouverneur, représentant de la reine d’Angleterre dans les Territoires du Nord-Ouest, a été construite en 1891. L’actuel, qui représente le reine dans le Saskatchewan n’occupe qu’une petite partie du bâtiment en briques. L’autre partie a été transformée en musée. A l’intérieur, c’est comme dans un film anglais. J’attends presque une apparition d’Anthony Hopkins en tenue de majordome. Mais je ne suis pas dans les vestiges d’un jour. Je suis à des milliers de kilomètres, dans les vestiges de la haute société de Regina au tournant des 19e et 20e siècles.

Anne-Lise déboule dans des vêtements d’époque. Elle est guide, complètement bilingue (sa mère est française d’origine). Elle est toute excitée que je sois venue me perdre dans son royaume. J’ai droit à une visite en français pour moi toute seule. J’apprends qu’un perroquet francophone pérorait dans le bureau du représentant de la Couronne britannique à la fin du 19e siècle, que la salle de billard était interdite aux femmes -les hommes y parlaient politique et affaires « sérieuses » en fumant le cigare et en buvant du cognac-, que les repas duraient entre deux et quatre heures, mais que les femmes, serrées dans leurs corsets, ne pouvaient de toute façon avaler qu’une bouchée de chaque plat. « A l’époque, j’aurais préféré être une femme pauvre », glisse Anne-Lise. Moi, j’aurais préféré être un homme riche. Dans les salons du Government House, je suis en tout cas très loin du wild wild West.

Samedi 23 septembre Regina, capitale des Tuniques rouges




Regina, c’est l’ancienne capitale des Territoires du Nord-Ouest. C’est encore aujourd’hui le quartier général de la Gendarmerie royale du Canada. Un corps policier à cheval créé en 1873, soit six ans après la fondation du dominion du Canada, pour « imposer la paix et l’ordre » dans les Territoires du Nord-Ouest. En 1867, quand l’Acte de l’Amérique du Nord britannique est signé, le Canada ne regroupe « que » les territoires actuels du Québec, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Ecosse. Deux ans plus tard, le Canada met £300.000 sur la table pour racheter la Terre de Rupert à la Compagnie de la baie d’Hudson. Une terre qui va du Manitoba à la Colombie-Britannique. « Maintiens le droit » (sous-entendu britannique), c’est la devise de la Police montée qui commence par chasser les fauteurs de troubles américains des Territoires nouvellement acquis. Mais les Tuniques rouges, ce n’est pas comme dans la série télé. Surtout pour les Indiens et les Métis. Le musée consacré à la Police montée, à l’intérieur de l’école de la Gendarmerie royale, ne s’attarde d’ailleurs pas trop sur le soulèvement de Batoche et la pendaison de Louis Riel.

samedi, septembre 23, 2006

Les Fransaskois au 5 à 7 de Regina


Comme les francophones du Saskatchewan ? La comparaison fait rire Ronald Labrecque, dont l’arrière grand-père est venu du Québec au début du 20e siècle. 1$, c'est ce que lui a coûté la terre à l’époque. Ils sont environ deux milles aujourd’hui à Regina sur une population de 200.000 habitants ; 25.000 dans toute la province. Je suis au 5 à 7 du carrefour des Prairies, un autre plan de Claire, où se rencontrent les Fransaskois de Regina tous les vendredis soirs. C’est à la fois une école et le siège de l’Assemblée communautaire fransaskoise qui regroupe toutes les associations francophones de la province. Et un bistro qui sert un choix de poutines, poutine classique, poutine italienne, au poulet, à la saucisse... Ce soir, on fête le départ de Françoise. Elle repart au Québec après avoir travaillé quelques années à Regina. Françoise est émue. Elle a « les yeux pleins d’eau », comme elle dit.

Les activités communautaires, c’est le seul moyen de lutter contre l’assimilation linguistique. «78% des enfants de francophones du Saskatchewan perdent le français, c’est le taux le plus haut de tout le Canada, se désole Ronald. Les francophones pensent qu’en parlant un peu français à leurs enfants, ceux-ci seront bilingues. Mais c’est un myhthe : il faut voir que tout l’environnement ici est en anglais.Quand tu sors de la maison, que tu prends le bus, que tu demandes l’heure… Il faut beaucoup d’efforts pour compenser l’effet environnement. »

Comme les Indiens, les Fransaskois reprennent du poil de la bête depuis une dizaine d’années. «Depuis qu’on a une école», précise Ronald. Le système scolaire va de la halte-garderie jusqu’au lycée. « L’Alberta, aussi surprenant que ça puisse paraître, vient d’adopter une loi qui impose l’apprentissage de deux langues. Les études montrent que dans 70% des cas, le français serait choisi comme deuxième langue, y compris dans des milieux d’autres origines comme des Allemands ou des Ukrainiens. En Saskatchewan, on essaie de pousser le gouvernement dans le même sens.»

Ronald Labrecque travaille à l’Assemblée communautaire fransaskoise. Une partie de son boulot consiste à gérer les dossiers d’immigration. Car le Saskatchewan, plus que n’importe où ailleurs au Canada, est une terre hémorragique. Ça urge tellement que la province accélère le processus d’immigration en délivrant d’abord un permis de travail. « Sinon, ça prend au moins deux ans avant que les gens arrivent. On doit vérifier que le poste ne peut pas être pourvu par un Canadien. Mais il y a des secteurs où les besoins sont énormes : la petite enfance, la santé, le social. On cherche aussi à attirer des agriculteurs. »

"Eduquer nos gens"


« Il nous fallait un lieu pour éduquer nos gens, me dit Tony, un Saulteaux qui travaille à l’université. Autrefois, il y avait les écoles résidentielles. C’était terrible. Mais même aujourd’hui, les Indiens ne sont pas toujours bien acceptés dans les universités. » Celle des Premières nations de Regina accepte tout le monde, Indiens ou non. Ils sont 1.200 étudiants sur le campus de Regina, 3.000 si l’on compte les deux campus satellites de Saskatoon et Prince Albert plus au Nord. Les professeurs viennent de partout. « Mais le but est à terme de former nos propres professeurs », précise Tony. Son petit-fils est étudiant à l’université. Les Indiens ne veulent plus être des victimes, mais être acteurs de leur vie.

Vendredi 22 septembre Une université construite et gérée par les Indiens





Dans le top 5 de mes nuits dans la voiture, je compterai celle-là. Pas un bruit dans la rue résidentielle, pas une voix, pas un claquement de portière. C’est la pluie qui me réveille à 7h du matin.

Saskatchewan, Land of living skies. C’est marqué sur les plaques d’immatriculation tout autour de moi. Regina, ancienne capitale des Territoires du Nord-Ouest, est aujourd’hui la capitale provinciale censée être la plus ensoleillée du Canada. Je n’ai pas de soleil, mais une auberge de jeunesse et Claire Bélanger-Parker. J’ai sa carte, marquée « présidente directrice générale Conventions N’Tours ». C’est une amie de Darlene Mullis, la rancher de Jack Pine Stables chez qui je suis restée à Duck Lake il y a plusieurs semaines. Claire est du Québec, une ancienne de la télévision de Radio-Canada partie suite à un plan social en 1997. Elle est venue s’installer là, au milieu des prairies, a monté sa boite. Elle propose des visites guidées, des circuits à la découverte des Métis, des organisations de congrès… Elle me file plein de tuyaux sur Regina.

Comme l’Université des Premières nations. Un grand bâtiment en verre qui a ouvert il y a trois ans. Le projet est né d’une vision des chefs Dénés. Il a fallu trente ans aux cinq nations indiennes du Saskatchewan – les Cree, Saulteaux, Lakotas, Dénés et Assiniboines - pour le concrétiser. C’est la seule université indienne de ce genre au Canada. Dans le hall, il y a un tipi géant vitré dans lequel se déroulent des cérémonies du calumet tous les seconds jeudis du mois.

C'est long, c'est lent


Je reprends la route toute droite vers le Sud, rattrape la Transcanadienne toute droite vers l’Ouest. C’est long, c’est lent. J’ai une super idée pour remplacer le café : la piscine. L’idéal, c’est la petite ville où l’on n’a pas à la chercher pendant des kilomètres. A Brooks, elle est dans le recreation center. Il y a un grand bain, un jacuzzi, un toboggan, des douches. Ça réveille et ça détend.

Dans le rétroviseur, le ciel est de plus en plus noir. C’est le soir, mais quand je passe la frontière du Saskatchewan, il fait bizarrement plus clair devant moi, vers l’Est. Il pleut. Mes essuie-glaces dansent sur la voix de Janis Joplin, au rythme de Litte girl blue. J’ai l’impression d’être dans une pub. Je roule sur une Transcanadienne de plus en plus rapiécée. Je trace vers Swift Current. Sur la carte, le point est moyennement gros. Pour mon petit-déjeuner, j’aurai peut-être un Tim Hortons.

Les Hooddos, un bout de Turquie en Alberta



Il ne fait pas encore un froid à tuer un dinosaure en Alberta. Mais ça se rafraîchit. Je fais la route des mauvaises terres sous un mauvais temps, fais un détour par les Hoodoos, des cheminées de fées sculptées par l’érosion qui ressemblent à de gros champignons. Comme une mini Capadocce turque qui se serait perdue au Canada.