Le Canada d'Est en Ouest

vendredi, septembre 08, 2006

Thuong Vuong-Riddick, du Vietnam au Canada



Thuong a rejoint le club il y a six ans pour améliorer son anglais. Thuong, d’origine vietnamienne, parle français depuis toute petite. Elle a passé la plus grande partie de sa vie dans l’Ouest du Canada, la plus grande partie de sa carrière de professeure à l’université de Victoria, capitale de Colombie-Britannique, sur l’île de Vancouver. Et dans cette province anglophone, à l’autre bout du Québec, Thuong a pu se passer de l’anglais. Il faut dire que Bruce, son mari, de langue maternelle anglaise mais né au Québec, parle français couramment.

Thuong, elle, est née au Vietnam en 1940 quand le pays était encore une colonie française, même colonisée par les Japonais. Elle est d’ascendance chinoise par son grand-père. Un drôle de melting-pot dans lequel vient s’imbriquer la langue de Molière. Thuong a appris le français à l’école des sœurs de Saint-Vincent-de-Paul à Hanoï après qu’une bombe ait explosé devant l’école chinoise. L’école française, c’était plus sûr. Pour Thuong comme pour ses huit frères et sœurs d’ailleurs qui sont tous par la suite venus s’installer au Canada. Des tantes, des cousins sont aujourd’hui dispersés entre la France, les Etats-Unis et le Canada.

Thuong, elle, est venue étudier à la Sorbonne en 1962. Elle a une licence de l’université de Hanoï en poche, une passion pour la littérature, s’intéresse aussi à la philosophie. Elle ressort de la prestigieuse université parisienne avec un doctorat de lettres. Elle quitte la France en 1969. Elle a vu plus que vécu Mai 68. A côté de la guerre du Vietnam, c’est du pipi de chat. Dans son pays, la guerre est alors à un tournant. Celui qui voit débouler de plus en plus de troupes américaines, bombarder de plus en plus les villes, tuer de plus en plus de civils. Les frères et sœurs de Thuong rejoignent la France avec un visa touristique. Mais la France n’est pas prête à accueillir toute la famille. « Il faut emmener les enfants hors de la frontière », lui dit la police française. Oui, mais où ? « En France, avec un doctorat de lettres, j’avais peu de perspectives d’emploi », raconte Thuong. On oublie la France, la terre promise est au-delà de l’Atlantique. Encore un océan à traverser. Le Canada accèpte la famille, acceptera d’ailleurs des oncles, des tantes et des cousins quand Saïgon tombera en 1975.

C’est au Canada que Thuong se reconstruit une vie. C’est à l’université de Montréal qu’elle obtient un poste de professeure de littérature. Paris, Montréal, elle vit en français.

C’est à la fin de sa carrière, en 1992, que Thuong se décide à changer la donne en suivant un cours de « creative litterature » en anglais à l’université de Victoria. Dans quelle université française verrait-on une prof être aussi étudiante ? Je ne vois pas. Mais c’est bien dans l’esprit du Canada, un pays où l’on se forme tout au long de la vie, où l’on peut changer de voie sans éveiller de suspicion.

Elle se souvient très bien de son premier cours en anglais. Il fallait écrire un texte à partir du mot « peanut », cacahouète. « J’ai copié toutes les recettes vietnamiennes à base de cacahouètes dont je me souvenais », confie Thuong. Elle s’est sentie toute bête quand elle a entendu les autres étudiants lire leur travail. « Des choses très intellectuelles. Je n’ai pas osé lire ce que j’avais écrit. » Il n’empêche. Elle a obtenu l’une des deux bourses de la province pour étudier au Banff Centre, une institution publique qui accueille des résidences d’écrivains. C’est là qu’elle démarre la rédaction de son recueil de poésie Two shores/ Deux rives, un livre écrit en anglais, puis recréé en français. Thuong y raconte sa vie au Vietnam, entre les Japonais, les Chinois, le Vietminh, les Français et les Américains ; sa vie parisienne ; sa nouvelle vie au Canada. Un livre étudié aujourd’hui dans différentes universités nord-américaines, en Colombie-Britannique, en Ontario, à Berkeley, ou encore en Caroline du Nord. Sous une étiquette différente à chaque fois, littérature anglaise, française, canadienne-asiatique…

Le prochain livre, sur la mémoire de sa famille au Vietnam, n’est pas encore publié. Mais il est déjà écrit et a déjà un titre : Evergreen country. C’est en anglais. Une langue qui lui reste malgré tout encore étrangère, qu’elle maîtrise encore de façon imparfaite. A tel point qu’elle a pris un cours pour les immigrants dans son quartier au sud de Vancouver il y a quelques années. Un cours élémentaire pour apprendre des choses élémentaires, maîtriser la grammaire anglaise notamment. Tout roulait jusqu’au jour où le prof s’est aperçu qu’elle avait écrit un livre. « Vous n’avez pas besoin d’un cours, vous avez écrit un livre ! ». Le type n’a rien compris : écrire, c’est se poser, revenir en arrière, réfléchir, c’est la possibilité de réécrire, de corriger, de se faire corriger. Ce n’est pas parler une langue. Thuong reste donc avec son anglais imparfait, cherchant à l’améliorer de façon détournée, en participant notamment au Toastmaster.