Le Canada d'Est en Ouest

vendredi, septembre 15, 2006

Jery ou l'Amérique des années 60


Avant de devenir fermière, Jery était bibliothécaire à Vancouver. Sur les étagères dans le salon trône l’intégralité des œuvres de Shakespeare, des livres sur les musées grecs, des atlas…. Ici, on peut être fan de Shakespeare et nettoyer la merde des poussins, être cultivé et faire un travail manuel sans que les gens vous regarde de haut.

Mais ça n’a rien à voir avec le ranch rugueux et couillu (sauf pour l’âne) d’Alberta. Les gens ici sont ouverts sur le monde extérieur, ils sont curieux d’autres modes de vie. Je repense à Gabrielle Roy : « le manque de curiosité à l’égard de l’étranger est la pire des impolitesses ». Jery est très curieuse, de tout. Elle ne bouge plus beaucoup depuis qu’elle a la ferme. Mais elle a traversé la France en 1969 avec un amie dans une 2CV. Elle a cette chaleur très américaine. On parle beaucoup. Ça va trop vite. Tout m’arrive par flots, en anglais. Elle est née à Flint, Michigan… On lui demande souvent si elle est allée à l’école avec Mickael Moore. Ce n’est pas le cas. D’ailleurs, elle n’a pas vraiment vécu à Flint. Son père était militaire, il ne l’est plus. Mais il est toujours conservateur, et volontiers raciste… Plutôt le genre de type qui serait la cible du réalisateur américain. Jery est tout le contraire. Elle se souvient d’un voyage en 1959 pour aller voir ses grands-parents en Floride. Elle avait 10 ans. Elle a bu au robinet d’un café sur la route, quelque part en Georgie. La serveuse l’a attrapée, giflée, parce qu’elle avait bu au robinet des Noirs : « you don’t drink at the nigger’s tap. You’re a white girl. » Je ne sais pas si c’est cet épisode qui l’a marquée. Mais Jery a milité plus tard pour les droits civiques au côté des Noirs américains. Elle est même allée dans les Black schools du Michigan pour être avec ses amies. Elle a un quart de sang indien dans les veines, d’une de ses grand-mères. Mais à l’école dans le Michigan, la maîtresse lui a fait comprendre que ce n’était pas une bonne chose à dire en public. La moindre remarque raciste la fait bondir. Elle me dit : « les Canadiens sont moins actifs dans leur racisme que les Américains. Mais quand même, il y a des fois certaines remarques que j’ai du mal à digérer. »

La nuit tombe. On doit déménager d’autres poules, plus grosses, d’un poulailler à l’autre. On les transporte la tête en bas. On dirait des chauve-souris.