Une nuit avec la loco du Canadien Pacifique

Je prends un lit à l’auberge de jeunesse de Victoria, dans un des plus vieux immeubles de la ville. Juste derrière, il y a l’Armée du Salut. Il n’y a pas que les retraités qui appécient le climat : je croise des tas de SDF qui tendent la main ou promènent leurs charriots de parcs en parcs. Au mètre carré de clodos, Victoria bat peut-être Vancouver. A l’intérieur de l’AJ, une femme lit un bouquin sur le canapé. Ça doit être une de la tribu des Granolas : elle ne s’épile pas.

La locomotive du Canadien Pacifique s'est posée là. Elle dort à quelques mètres, sur le pont inférieur d’un autre lit superposé et fait un boucan monstrueux. Une bête humaine qui râle, racle, siffle, tousse et ronfle en continu. Il est 4h45. Je ne dors pas. Pas plus j’imagine que ceux qui, au-dessus, donnent régulièrement des coups sur le plancher. Je pense à des tas de trucs, à Sartre - "l’enfer c’est les autres" -, à Louis de Funès dans La grande vadrouille… Je suis maintenant sûre d’une chose : entre les allées et venues permanentes, le bruit des conversations tard dans la nuit et les ronflements, ma voiture me semble mille fois plus agréable qu’un lit en dortoir à l’auberge de jeunesse. L’AJ, c’est bien pour la cuisine, le canapé et l’accès Internet. Et, à la rigueur, pour rencontrer des gens. Pas pour dormir.